Les tensions préélectorales ont gagné mercredi la capitale sénégalaise Dakar, théâtre de heurts entre supporteurs d'un candidat à la mairie et forces de l'ordre ravivant le spectre des émeutes de mars.
Suivant un scénario étrangement similaire au prologue des troubles d'il y a huit mois, le cortège conduisant au tribunal un farouche adversaire du pouvoir avec des centaines de supporteurs dans son sillage s'est heurté à plusieurs reprises aux barrages de gendarmes ou de policiers.
Les sympathisants de Barthélémy Dias ont à chaque fois lancé des pierres, les forces de sécurité ripostant par des tirs de lacrymogènes. Au bout du compte, le convoi parvenait à forcer le barrage et poursuivre la progression en mode "stop and go".
En mars, l'ardent détracteur du président Macky Sall convoqué au tribunal était Ousmane Sonko, annoncé comme un des principaux concurrents à la présidentielle de 2024. Cette fois, il s'agissait du maire d'une des communes d'arrondissement de Dakar, et candidat à la mairie de la capitale en janvier.
Les deux hommes sont partenaires dans une coalition formée autour de M. Sonko, Yewwi Askan Wi ("Libérons le peuple" en ouolof), en vue des élections municipales et départementales de janvier 2022. L'ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, fait aussi partie de la coalition.
Ces trois hommes ont en commun d'avoir vu ou de voir les ennuis judiciaires troubler leurs desseins politiques. Tous crient au complot ourdi par le pouvoir, et dénoncent une justice instrumentalisée.
M. Sonko s'est joint au cortège de M. Dias. Khalifa Sall les attendait au tribunal.
- Renvois multiples -
M. Dias devait y être jugé en appel avec d'autres pour la mort en 2011 de Ndiaga Diouf, un lutteur décrit par l'opposition comme un nervi du régime. Il avait été abattu par balle lors de l'assaut donné à la mairie de M. Dias par de supposés sympathisants du Parti démocratique sénégalais au pouvoir, dans un contexte de contestation grandissante contre une candidature du président sortant Abdoulaye Wade à un troisième mandat en 2012.
M. Dias, jugé avec une douzaine d'autres, avait été condamné en 2017 à deux ans de prison, dont six mois ferme, couverts par sa détention provisoire.
Depuis, le procès en appel a été renvoyé à tant de reprises qu'un des avocats de M. Dias, Cheikh Khoureychi Ba, disait à l'AFP en avoir perdu le compte.
En juillet, l'audience a finalement été fixée à ce 10 novembre. M. Dias et Yewwi Askan Wi, ont crié au stratagème pour saboter sa candidature, ce qu'a réfuté le parquet général. Ils ont appelé à la "résistance".
Mercredi matin, Dakar retenait son souffle, tant le script rappelait celui de mars quand la convocation de M. Sonko, soupçonné de viols dont il se défend, avait conduit à son arrestation parce qu'il refusait de suivre le trajet fixé par les forces de l'ordre.
Son arrestation avait déclenché plusieurs jours de heurts, saccages et pillages de magasins, en particulier sous enseigne française, à Dakar et dans le pays pourtant réputé comme un îlot de stabilité en Afrique de l'Ouest.
Les violences avaient fait une douzaine de morts.
- Motifs de tension persistants -
En dehors du recul de la pandémie, les facteurs de crispation demeurent, à commencer par les difficultés socio-économiques pour une population pauvre et éprouvée.
Des centaines de policiers en tenue anti-émeutes, soutenus par des engins lourds, ont été disposés autour du tribunal et sur le parcours attendu de M. Dias.
La campagne avait déjà donné lieu à des heurts sporadiques en province. L'invalidation d'un certain nombre de listes de candidats aux élections a ajouté à l'irritation de l'opposition.
Finalement, l'audience du tribunal s'est ouverte sans M. Dias alors que les journalistes attendaient devant chez lui, à quelques kilomètres de là, qu'il se mette en route.
"L'audience est renvoyée à la demande (d'un) prévenu qui souhaite comparaître en présence de son avocat", a annoncé le président du tribunal Mbaye Gueye. L'affaire est désormais programmée le 1er décembre.
"L'Etat et la Justice sont à la manoeuvre pour empêcher Barthélémy Dias d'être candidat à la mairie de Dakar. Ils sont en train d'essayer de le neutraliser à défaut de l'intimider", a affirmé à l'AFP Khalifa Sall devant le tribunal.
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