Crimes contre l'humanité au Liberia : Prison à vie pour l'ex-rebelle Kunti Kamara

Publié le 2 nov. 2022 à 23:30

  • Crimes contre l'humanité au Liberia : Prison à vie pour l'ex-rebelle Kunti Kamara

Un verdict historique et une lourde peine : la cour d'assises de Paris a condamné mercredi l'ex-commandant Kunti Kamara à la prison à vie pour des exactions pendant la première guerre civile au Liberia et pour s'être rendu complice de crimes contre l'humanité en facilitant des viols.

Après trois semaines d'un procès inédit, l'accusé de 47 ans a été reconnu coupable d'une série "d'actes de tortures et de barbarie" contre des civils en 1993-1994, dont le supplice infligé à un enseignant dont il aurait mangé le cœur, la mise à mort d'une femme qualifiée de "sorcière" et des marches forcées imposées à la population.  

M. Kamara comparaissait à Paris au titre de la "compétence universelle" exercée, sous certaines conditions, par la France pour juger les crimes les plus graves commis hors de son sol. C’est la première fois que ce mécanisme était utilisé pour des faits commis dans un autre pays que le Rwanda. 

Selon le verdict rendu après neuf heures de délibéré, cet ancien commandant du Mouvement uni de libération pour la démocratie (Ulimo) a également facilité des crimes contre l'humanité par son indifférence devant les viols répétés commis sur deux adolescentes par des soldats placés sous son autorité en 1994.  

La cour a ainsi suivi les réquisitions du ministère public qui avait réclamé à son encontre la réclusion à perpétuité, fustigeant des crimes ayant "porté atteinte à l'humanité tout entière".   

A l'énoncé de la décision, l'accusé, crâne chauve et moustache fournie, est resté impassible.

Tout au long de son procès, le premier jamais consacré en France à la guerre civile libérienne, M. Kamara a clamé son innocence, s’estimant victime d’un "complot".  "Je suis innocent aujourd’hui, je suis innocent demain, j'étais un simple soldat, c'est tout", avait-il déclaré pour ses derniers mots à la cour mercredi matin. 

Son avocate Me Marilyne Secci avait, elle, réclamé son acquittement en s'attaquant aux "lacunes" d’un dossier bâti sur des témoignages anciens. Elle n'a pas souhaité faire de commentaires après le verdict.

- Message "d'espoir" -

Face à la cour, plusieurs plaignants venus spécialement du Liberia ont certifié que l'accusé était bien le "C.O Kundi" --pour "commanding officer"-- qui aurait contribué à faire régner la terreur dans le nord-ouest du pays au début des années 90.  

Cette région rurale était alors aux mains de l'Ulimo qui tentait de freiner les avancées des troupes du redouté Charles Taylor, dont l’entrée au Liberia fin 1989 avait marqué le début de la première guerre civile.

D'indicibles atrocités ont été relatées devant les trois magistrats et six jurés de la cour : des habitants assassinés en étant contraints d'ingurgiter de l'eau bouillante, le commerce de la viande humaine, des intestins utilisés en guise de checkpoints, un viol au moyen d'une baïonnette trempée dans du sel. 

L'impunité qui règne encore au Liberia a également traversé les débats : les crimes de la guerre civile, qui avait repris de 1999 à 2003 et fait au total 250.000 morts, n'ont jamais été jugés par le pays où d'anciens chefs rebelles occupent aujourd'hui de hautes fonctions dans l'appareil d’État.  

Les conclusions de la commission vérité et réconciliation, qui avait recommandé en 2009 l'inculpation de huit chefs de guerre et l'interdiction pour l'ex-présidente Ellen Johnson Sirleaf d'exercer des fonctions politiques, sont restées lettre morte.  

"Les victimes ont eu le courage d'aller chercher la justice qu'elles ne trouvaient pas chez elles", a déclaré Alain Werner, président de l'ONG Civitas Maxima, qui avait déposé plainte contre M. Kamara en France en 2018, assurant que ce verdict donnait "énormément d'espoir" aux victimes libériennes.

M. Kamara, qui avait obtenu l'asile politique aux Pays-Bas après avoir menti sur son passé, avait été interpellé dans la région parisienne en septembre 2018.    

Son nom avait surgi au milieu des années 2010 dans le cadre d'une procédure engagée en Suisse contre un autre cadre de l'Ulimo, Alieu Kosiah, qui a été condamné à Genève en 2021 à vingt ans de prison dans le tout premier procès des crimes de guerre libériens. Son procès en appel doit se tenir début 2023.