La bataille des derniers jours pour Andéramboukane où les jihadistes évoluaient pour ainsi dire librement est un des aspects de la grave détérioration sécuritaire rapportée par différents acteurs autour de Ménaka (nord-est) et, au-delà, dans la région troublée dite des trois frontières, entre Mali, Niger et Burkina Faso.
Une grande partie de la région autour de Ménaka est passée sous l'emprise de groupes affiliés à l'organisation Etat islamique, qui cherchent à imposer leur loi aux populations, rapportent les mêmes acteurs.
Ces hostilités coïncident avec le retrait militaire en cours de la France et ses alliés européens, poussés dehors par la junte au pouvoir, qui s'est tournée vers la Russie.
Pendant plusieurs jours, les forces régulières et des groupes armés locaux, essentiellement touarègues, ont disputé aux jihadistes le contrôle d'Andéramboukane, ont-ils rapporté sur les réseaux sociaux. Difficile de dire en temps réel qui a pris le dessus.
Mais les maigres informations remontant de cette immense zone reculée, quasiment inaccessible à cause de l'insécurité et largement coupée des réseaux de télécommunications, font état de centaines de civils tués et de milliers de déplacés ces derniers mois dans les régions de Ménaka et Gao plus à l'ouest.
Elles rendent compte non seulement d'affrontements entre combattants, mais aussi de massacres. Les civils sont pris entre deux feux, tués parce que soupçonnés de pactiser avec l'ennemi, enlevés ou privés de moyens de subsistance par les destructions. L'ONU relate une recrudescence des représailles des Touaregs contre les Peuls, accusés d'aider les jihadistes.
- "Dramatique" -
Le chef de la mission de l'ONU au Mali (Minusma), El Ghassim Wane, en visite à Ménaka le 31 mai, jugeait la "situation extrêmement dramatique".
"Une bonne partie de la région de Ménaka est aujourd'hui sous le contrôle des jihadistes", a déclaré au téléphone à l’AFP Abdoul Wahab ag Ahmed Mohamed, président des autorités intérimaires de Ménaka.
"Plusieurs centaines de civils ont été tués et entre 20.000 et 30.000 personnes déplacées de mars à mai", a indiqué Moussa Ag Acharatoumane, leader du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA), un des groupes qui luttent contre les jihadistes.
Dans un récent rapport, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres rapporte que, dans le cercle d'Andéramboukane, les combats "ont eu pour résultat, selon certaines informations, la mort de centaines de civils, le pillage et l'incendie de magasins et de véhicules et la destruction des réseaux téléphoniques".
Les violences ont provoqué la fuite d'environ 32.000 personnes selon des estimations qu'il cite.
Andéramboukane, ville de 20.000 habitants réputée turbulente, apparaît comme un point névralgique. L'armée malienne s'en était éloignée fin 2019 au moment d'un repositionnement face à une multiplication d'attaques jihadistes meurtrières.
Une coalition composée de groupes loyalistes, dont le MSA, a revendiqué samedi d'avoir repris avec l'armée le "contrôle total" d'Andéramboukane et "mis en déroute" les jihadistes. Depuis, Andéramboukane semble être passée d'un camp à l'autre.
- Nouvelles réalités -
Les colonels au pouvoir restent relativement discrets sur la situation autour de Ménaka et Gao, alors qu'ils claironnent régulièrement la "débandade" causée selon eux parmi les jihadistes par une intensification des opérations.
"L'Etat est conscient de la gravité de la situation dans la région de Ménaka et toutes les mesures sont prises pour que la région ne tombe pas dans les mains des jihadistes", assure un responsable militaire sous couvert d'anonymat.
Quelques dizaines d'habitants de Ménaka ont manifesté lundi derrière des banderoles dénonçant le "silence face au massacre des civils à Ménaka, Gao" et appelant "à l'aide". Ils demandaient à l'Etat de redéployer ses forces dans le secteur.
Le secrétaire général de l'ONU rappelle que les trois frontières avaient été une "zone prioritaire" d'opérations de Barkhane et ses alliés contre l'Etat islamique. Là et ailleurs, le nombre des "attaques ciblées et indiscriminées contre la population civile a augmenté de manière significative après (l'annonce du) retrait imminent des forces internationales", dit-il.
La situation "reflète bien le nouvel état de fait", estime Ousmane Diallo, chercheur à Amnesty International sur le Mali. Malgré l'envoi récent de forces à Andéramboukane, le retrait de Barkhane "laisse une plus grande marge de manoeuvre à l'EI qui avait pourtant subi beaucoup de pertes tactiques au cours des deux dernières années".
"La réponse gouvernementale laisse toujours à désirer trois mois après les premières attaques", ajoute-t-il.
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