Alors que selon les historiens l'épopée coloniale de l'Italie sur le continent africain a fait des centaines de milliers de morts civils, le numéro deux de la diplomatie de la péninsule affirmait cet été qu'elle n'y avait mené qu'une mission civilisatrice, apportant ses valeurs sans verser de sang ni s'approprier les richesses des peuples soumis.
"Que ce soit avant ou pendant le fascisme, le gouvernement a construit et bâti une culture civilisatrice" dans ses colonies, a plaidé Edmondo Cirielli, également député du parti post-fasciste Fratelli d'Italia de la Première ministre Giorgia Meloni, reprenant la thèse des "bons colonisateurs" populaire à l'extrême droite.
"Notre culture antique fait que nous ne sommes pas un peuple de pirates qui vont piller le monde", selon lui.
Une thèse également reprise par Mme Meloni, qui a multiplié les voyages en Afrique pour diversifier les sources d'approvisionnement en énergie après l'invasion russe en Ukraine.
Ces déclarations font bondir les historiens et la gauche, qui estiment que l'Italie n'a toujours pas fait son examen de conscience collectif.
Afin d'encourager ce processus d'introspection, des députés de l'opposition viennent de présenter une proposition de loi instituant une "Journée de la mémoire pour les victimes du colonialisme italien" aux XIXème et XXème siècles en Libye, Ethiopie, Erythrée et dans la région devenue depuis la Somalie.
La date suggérée est le 19 février, qui marque le début du massacre de la population civile éthiopienne par les troupes italiennes à Addis Abeba en 1937 (environ 20.000 morts).
- Le mythe des "braves gens" -
"D'autre pays comme la Belgique et l'Allemagne ont demandé pardon pour les crimes du colonialisme. En Italie, on a tendance à nier (ces crimes) et à raconter que l'Italie des braves gens a construit des routes, des hôpitaux et des écoles" , explique à l'AFP Laura Boldrini (Parti démocrate, gauche), ancienne présidente de la Chambre des députés et co-auteure de la proposition de loi, qui a peu de chances d'être adoptée vu la large majorité dont disposent l'extrême droite et le droite au parlement.
"Les journaux de droite ont écrit des articles dénigrants (sur le texte) et ce gouvernement ne prend pas au sérieux les crimes du colonialisme", déplore-t-elle.
Le colonialisme italien puise ses racines dans une logique de peuplement. La jeune Italie unifiée en 1861 cherche "à résoudre les grands problèmes de chômage et de mal-être social" en "exportant sa force de travail" vers les pays occupés, analyse le professeur Uoldelul Chelati Dirar, de l'université de Macerata.
Ce qui explique, comme le mettent en avant certains à droite, "que l'Italie ait plus investi que d'autres puissances coloniales dans le développement d'infrastructures".
En somme, de "braves gens", un mythe dont "l'enracinement dans la société italienne se reflète dans l'extrême résistance à accepter l'évidence que notre Histoire a été aussi une Histoire de violence, d'exploitation et de racisme", avance le professeur Alessandro Pes de l'université de Cagliari.
L'historien britannique Ian Campbell estime que l'occupation des quatre pays africains a fait 700.000 morts parmi les populations autochtones.
- Enjeu pédagogique -
En Libye seule, les "politiques génocidaires" du régime fasciste de Benito Mussolini ont fait 150.000 morts civils, rappelle le professeur Chelati Dirar.
Si les colonisateurs y furent aussi généreux et bienfaiteurs, pourquoi Silvio Berlusconi, alors chef du gouvernement, a-t-il signé en 2008 avec le colonel Kadhafi le "traité de Benghazi" ? Pour mettre fin au contentieux sur les plus de 30 ans d'occupation italienne (1911-1942), il avait alors présenté les excuses de l'Italie à la Libye et s'était engagé à lui verser 5 milliards de dollars de dédommagements en 25 ans sous forme d'investissements.
Une reconnaissance des crimes passés qui présenterait aujourd'hui un réel intérêt pédagogique tant le travail des historiens "ne franchit pas la porte des écoles", regrette Uoldelul Chelati Dirar.
En 2015, à l'issue d'une mission d'étude en Italie, le professeur Michal Balcerzak, membre du Groupe de travail d'experts de l'ONU sur les personnes d'ascendance africaine, estimait que "l'absence du passé colonial de l'Italie des manuels scolaires et du débat public" contribuait, entre autres facteurs, "au racisme moderne".
En attendant, Giorgia Meloni ne renâcle pas, en Afrique, à tacler, sans les nommer, d'anciennes puissances coloniales en Afrique parmi ses actuels partenaires européens (France, Belgique, Royaume-Uni, Portugal).
En octobre à Brazzaville, elle a ainsi plaidé auprès des autorités congolaises pour "une approche qui ne soit pas celle, prédatrice et paternaliste, qui a caractérisé les relations avec certains pays par le passé".
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