Mali : proclamations victorieuses et patriotes après la prise d'un symbole séparatiste

Publié le 17 nov. 2023 à 09:09

  • Mali : proclamations victorieuses et patriotes après la prise d'un symbole séparatiste

La junte malienne et ses soutiens se sont répandus en déclarations triomphales et patriotiques après la prise de Kidal (nord) dont la reconquête sur les rebelles touareg donne raison selon eux aux choix stratégiques faits par les colonels au pouvoir.

La capture de Kidal, foyer de la revendication indépendantiste dont l'Etat central et l'armée avaient été chassés par les rebelles en 2014, est le succès militaire le plus incontestable remporté par les colonels à la tête de ce pays plongé dans une crise sécuritaire et multidimensionnelle grave.

Des Maliens sont descendus dans la rue mardi soir à Bamako, Kati et d'autres villes pour célébrer l'entrée de l'armée dans Kidal, selon des vidéos sur les réseaux sociaux.

Ces images montrent des groupes de Maliens saluer à Kidal l'arrivée de blindés et pick-ups avec des soldats maliens, mais aussi des combattants blancs largement présumés appartenir au groupe de sécurité russe Wagner, dont la junte dément la présence au Mali.

Kidal a connu des actes de pillage dans la nuit, a dit un humanitaire s'exprimant sous le couvert de l'anonymat pour sa sécurité.

Les autorités ont annoncé un couvre-feu nocturne dans toute la région à partir de mercredi soir et pour 30 jours reconductibles.

La situation dans la ville, éloignée de tout, désertée par une partie de ses quelques dizaines de milliers d'habitants et coupée des réseaux de téléphone jusqu'à récemment reste difficile à cerner.

"Libres"

"L'armée se déplace dans la ville avec des militaires blancs. Nous ne savons pas qui ils sont", a dit un vieux Kidalois. "Les gens ont peur d'eux, donc il ne reste plus rien dans la ville, sauf des gens comme moi qui n'ont pas les moyens de partir".

Un autre Kidalois a assuré que les hommes qui avaient célébré la veille était des travailleurs d'autres régions, sous-entendant qu'ils n'étaient pas touareg.

Mais Aliou Touré, un épicier de 32 ans, a déclaré que les Kidalois étaient "fiers de (leur) armée". Il a assuré que la danse et l'alcool étaient interdits jusqu'alors. "Maintenant nous sommes libres", a-t-il dit.

La capture de Kidal "est une étape décisive dans la reconquête de l'intégrité du territoire", a claironné mercredi le présentateur du journal de la radio d'Etat presque entièrement consacré à cet "évènement historique".

La presse imprimée a rivalisé de unes glorifiant la victoire et l'armée, objet de consensus au Mali.

Le Mali est plongé dans le trouble depuis le déclenchement d'insurrections indépendantiste et salafiste en 2012. Il subit la propagation des groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l'organisation Etat islamique. La violence est aggravée par les groupes d'autodéfense et les bandits.

Les sépararistes touareg qui avaient cessé le feu en 2014 viennent de reprendre les armes. Après la perte de Kidal, ils ont juré que "la lutte continue".

"Guerre continue"

Le Mali a été le théâtre d'un double coup d'Etat mené par les mêmes colonels en 2020 et 2021. Ils ont rompu l'alliance militaire avec l'allié français et ses partenaires européens et se sont tournés vers la Russie. Ils viennent de sommer la mission de l'ONU de partir.

Ils placent au-dessus de tout l'armée, la sécurité et la restauration de la souveraineté nationale sur l'intégralité du territoire.

Avant leur avènement, deux tiers du territoire passaient pour échapper au contrôle de l'Etat. Ils proclament que la "montée en puissance" de l'armée, avec le soutien de la Russie et de ses instructeurs ainsi que de ses livraisons d'armes selon eux, met en "débandade" les groupes "terroristes", désignation attrape-tout pour jihadistes et séparatistes.

Kidal était "considérée par l'armée malienne comme le symbole de l'insoumission", a dit la radio d'Etat, sous le contrôle de la junte, et sa prise est l'aboutissement des choix opérés par les colonels, avec à leur tête Assimi Goïta.

"La conquête de Kidal envoie des messages au-delà du Mali", commente le chercheur Yvan Guichaoua (Brussels School of International Studies) sur X (ex-Twitter), "elle gonfle à bloc les régimes militaires. Elle dit: 1) les Russes font le taf; 2) utiliser la force, y a rien de mieux".

A la suite du Mali, les militaires ont pris les commandes des voisins sahéliens du Burkina Faso et du Niger, confrontés aux mêmes problématiques. Les trois pays ont noué alliance. Ouagadougou et Niamey ont félicité Bamako mardi et mercredi.

D'exil, l'opposant Oumar Mariko, ancien député et ancien candidat à la présidence, a fait entendre une rare voix discordante. "La focalisation sur Kidal rentre dans la série de la grosse manipulation politique d'une clique de prédateurs évoluant de père en fils", a-t-il dit à l'AFP. "La suite des évènements ? C'est la guerre continue".