"C'est tellement dur de s'en sortir au Nigeria, tout est si compliqué, c'est difficile de survivre", résume, découragé, Rotimi Bankole, 54 ans, dans la cour d'une école primaire où chahutent des centaines d'élèves.
Comme des millions de ses compatriotes, cet habitant de Lagos, la capitale économique, cumule plusieurs emplois, formels et informels, pour pouvoir faire vivre sa femme et ses trois enfants.
A côté de ses fonctions de directeur d'établissement, il gère une petite entreprise d'impression, et vient d'ajouter une nouvelle activité à ses journées déjà bien remplies: chauffeur de taxi.
Le redressement économique du géant anglophone, pays de 215 millions d'habitants dont 63% de pauvres, sera l'un des grands enjeux du scrutin, avec l'insécurité (rébelion jihadiste, criminalité, revendications séparatistes).
Principal producteur d'or noir du continent, le Nigeria possède d'immenses ressources naturelles, notamment en hydrocarbures. Mais la pandémie de Covid-19 et les retombées de la guerre en Ukraine ont mis à genoux son économie, déjà affectée par les violences qui paralysent l'agriculture et le commerce dans de vastes régions du pays.
La moindre dépense est devenue un casse-tête. L'inflation frôle les 22%, et la monnaie nationale, le naira, ne cesse de dégringoler face au dollar - actuellement 750 nairas pour un dollar au marché noir, contre 200 en 2015.
Pour ne rien arranger, le pays est confronté à une grave pénurie de liquidités liée à une récente réforme de la banque centrale, qui a laissé trois mois aux Nigérians pour rendre tous leurs anciens billets, sans remettre en circulation l'équivalent en nouvelles coupures.
Depuis des semaines, la population se démène nuit et jour pour trouver des espèces. Des files d'attente interminables se sont formées devant les banques et les bureaux de change, et beaucoup ont fini par fermer leurs portes, incapables de répondre à la demande. Dans plusieurs grandes villes, de Lagos (sud-ouest) à Benin City (sud) en passant par Kano (nord), l'exaspération généralisée a débouché sur des émeutes.
- "Pas continuer comme ça"
Dans ce contexte, ajoutés à l'explosion du prix de l'essence, qui a quasiment doublé (330 nairas le litre contre 165 il y a quelques mois) et se fait rare elle aussi, les extras de Rotimi Bankole au volant de sa voiture lui rapportent bien moins qu'espéré. Environ 5.000 nairas par jour (10 euros) pour compléter de maigres revenus mensuels.
Même son école privée peine à rémunérer ses professeurs, car elle dépend entièrement des frais de scolarité versés par les parents, qui ne parviennent plus à payer.
"Nous ne pouvons pas continuer comme ça", se lamente M. Bankole, conscient que de très nombreux Nigérians sans emploi et appartenant aux classes sociales les plus démunies sont confrontés à des difficultés plus grandes encore. "Le Nigeria est malade comme nous le sommes aussi".
Le pays a eu beau renouer avec une croissance positive, à 3% l'an dernier, la reprise n'a pas permis d'améliorer les conditions de vie de la majorité. Le taux de chômage est d'environ 33 % au niveau national - et atteint même 43 % chez les jeunes.
Les favoris en lice pour la présidentielle, deux anciens gouverneurs et un ancien vice-président, vantent tous leur longue expérience en politique et leur sens des affaires, pour faire espérer des lendemains meilleurs à leurs électeurs.
Le candidat du parti au pouvoir, le Congrès des progressistes (APC), Bola Ahmed Tinubu, affronte Atiku Abubakar du principal parti d'opposition, le Parti démocratique populaire (PDP) et Peter Obi du Parti travailliste (LP), un outsider dont la popularité croissante auprès des jeunes a pris tout le monde de court.
Mais les analystes restent très pessimistes sur les perspectives économiques à court et moyen terme. "L'environnement opérationnel défavorable au Nigeria, caractérisé entre autres par des pressions inflationnistes et un faible pouvoir d'achat, continuera d'accroître le niveau de pauvreté", estime Sola Oni, du cabinet de conseil Sofunix Investment.
Récemment, les fabricants nigérians ont prévenu que les pénuries entraineraient une baisse de 25% des ventes sur les produits manufacturés si les crises du carburant et des liquidités n'étaient pas résolues dans les prochaines semaines.
"Cette situation n'est bonne pour personne", enrage le patron de l'Association des fabricants du Nigeria (MAN), Segun Ajayi-Kabir. "Ni pour l'industrie, ni pour le gouvernement, ni pour le citoyen ordinaire".
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