Ce procès s'annonce comme le point d'orgue d'un feuilleton qui, aux confins de la politique et des moeurs, tient en haleine et agite le Sénégal depuis deux ans. Il pourrait compromettre davantage le projet présidentiel d'un personnage populaire chez les jeunes, et clivant.
M. Sonko a déclaré qu'il ne collaborerait plus avec la justice. Il s'expose à être présenté de force devant la cour s'il refuse de comparaître.
A 48 ans, le président du parti Pastef-les Patriotes et maire de Ziguinchor (sud), est appelé devant une chambre criminelle à Dakar pour répondre de viols et de menaces de mort contre Adji Sarr, employée d'une vingtaine d'années d'un salon de beauté de la capitale.
La révélation, début 2021, des accusations contre M. Sonko a causé un électrochoc. La plainte visait le troisième de la présidentielle de 2019, un ancien haut fonctionnaire radié pour avoir dénoncé les pratiques du système en place, un homme au langage impétueux mais policé et imprégné de références religieuses et traditionnelles.
La plainte d'Adji Sarr a passagèrement mis la question du viol sur une place publique où elle est volontiers passée sous silence. Adji Sarr a été attaquée et menacée sur les réseaux sociaux. Mais elle a toujours réclamé justice.
"Si Ousmane Sonko n'a jamais couché avec moi, qu'il le jure sur le Coran", défiait-elle en mars 2021.
M. Sonko a reconnu être allé se faire masser pendant le couvre-feu pour apaiser des douleurs de dos chroniques. Mais il a demandé "à un prêcheur si (sa) religion (l)’autorisait à être massé par des femmes qui ne sont pas (ses) épouses". Il s'est assuré qu'il y avait toujours au moins deux masseuses dans la salle, a-t-il dit.
Il a toujours réfuté les viols et les menaces, et crié au coup fourré.
Son interpellation en mars 2021 sur le chemin du tribunal a déclenché plusieurs jours d'émeutes qui ont fait au moins une douzaine de morts. Ses rendez-vous avec la justice ont régulièrement donné lieu à des incidents ou mis Dakar sous tension. Ses adversaires le décrivent comme un agitateur fomentant un projet "insurrectionnel".
L'inconnue Macky Sall
M. Sonko vient d'être condamné en appel à six mois de prison avec sursis pour diffamation à la suite d'une autre plainte, celle d'un ministre. Si elle est maintenue, cette peine est largement perçue comme entraînant la déchéance de ses droits électoraux.
Du "banditisme judiciaire", se récrie-t-il. Il ne se présentera "plus devant cette justice pour répondre à quoi que ce soit".
Sera-t-il au tribunal ? Ses avocats gardent le silence.
Le ministre de la Communication, Moussa Bocar Thiam, avocat, soulignait la semaine passée que "l'Etat n'est mêlé en rien" à des dossiers à caractère privé.
Cpendant, a-t-il prévenu, l'affaire de mardi est criminelle et si M. Sonko ne se présente pas, il pourra être jugé par contumace, ou la chambre peut "le faire comparaître par la force publique". Une comparution de force pourrait causer de nouveaux remous. Une condamnation par contumace pourrait signifier la déchéance des droits électoraux.
Elimane Haby Ndao, président de Legs-Africa, association panafricaine à orientation scientifique et politique, s'interroge sur la faculté de M. Sonko à s'en tirer grâce à la rue.
"L’Etat du Sénégal a tiré les leçons de mars 2021 et (revu) sa tactique d’endiguement", et le parti de M. Sonko a été éprouvé par des centaines d'arrestations, dit-il. Il souligne "la lassitude des citoyens, éreintés par l’ambiance toxique et les menaces récurrentes sur leur quiétude".
D'autres pensent que le sort de M. Sonko n'est pas scellé, même en cas de condamnation. Ils invoquent sa popularité chez les moins de 20 ans qui représentent la moitié de la population, sa pugnacité, l'hostilité répandue à un éventuel troisième mandat du sortant Macky Sall et les surprises à attendre des prochains mois.
"C'est un moment difficile" pour M. Sonko, dit Maurice Dione, professeur de sciences politiques à Saint-Louis (nord). Il reconnaît que le président Macky Sall, avec différentes initiatives, a enfoncé un coin dans le front de l'opposition, peut-être avec le dessein de "périphériser" M. Sonko.
Le président, élu en 2012, réélu en 2019, entretient le flou sur son intention de se représenter et de passer outre aux objections constitutionnelles des adversaires d'un troisième mandat.
"Tous les actes qu'il pose donnent à penser qu'il s'achemine vers une troisième candidature, illégale", dit M. Dione. Elle "risque de fédérer toute l'opposition contre lui et donc (sa) stratégie de division risque de se retourner contre lui".
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