Vendredi soir, une centaine de manifestants sont descendus dans les rues de Tunis à l'appel d'un collectif antifasciste pour exprimer leur "solidarité avec les migrants sans papiers". "Etat répressif policier qui vous expulse et nous réprime", "La Tunisie est africaine, non au racisme", "à bas le fascisme", ont-ils scandé.
A la suite d'affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet, des centaines de migrants africains ont été chassés de Sfax, deuxième ville de Tunisie et devenue cette année le principal point de départ pour l'émigration clandestine vers l'Europe.
Ils ont été alors conduits par les autorités, selon des ONG, vers des zones inhospitalières près de la Libye à l'est, et l'Algérie à l'ouest.
Sans eau, ni nourriture, ni abris par des températures dépassant les 40 degrés, plusieurs sont morts, selon Human Rights Watch.
Entre 100 et 150 migrants, dont des femmes et des enfants, se trouvent encore dans une zone militarisée à la frontière libyenne, sans aucune aide, a indiqué vendredi à la presse Romdane Ben Amor, porte-parole du FTDES, une ONG tunisienne spécialisée dans les migrations.
Environ 165 migrants, abandonnés près de la frontière algérienne, ont en revanche été récupérés et emmenés dans un lieu inconnu, a-t-il dit.
"Des migrants sont transférés d'un endroit à un autre, et d'autres groupes, dans des conditions catastrophiques, se cachent dans la nature de peur d'avoir le même sort que ceux bloqués aux frontières", a déploré M. Ben Amor, appelant à leur fournir des hébergements d'urgence.
Les"arrestations arbitraires"ont repris vendredi, a assuré à l'AFP le président de l'association de la diaspora camerounaise, Eric Tchata, qui a publié une vidéo d'un compatriote où on voit un groupe comprenant des femmes et enfants "regroupés dans un entrepôt à Medénine".
"Ils sont environ 300 et ont été arrêtés par la police près de la gare de Zarzis (à 300 km au sud de Sfax, ndlr) juste sur la base de leur couleur", a dit M. Tchata, en disant que beaucoup étaient en route pour "gagner leur pain". Un grand nombre des migrants arrivant en Tunisie d'Afrique subsaharienne réussissent à travailler sans être déclarés, notamment sur des chantiers, dans l'agriculture ou comme femmes de ménage.
Le Croissant rouge tunisien a pris en charge provisoirement dans des écoles depuis lundi environ 600 migrants, récupérés à la frontière libyenne.
M. Ben Amor a dit craindre que d'autres migrants ne périssent dans les jours à venir, après la découverte de deux corps dans le désert près de Hazoua ces derniers jours.
- "Pousse-au-crime" -
Un discours de plus en plus ouvertement xénophobe s'est répandu en Tunisie depuis que le président Kais Saied, qui s'est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021, a dénoncé le 21 février l'immigration clandestine, évoquant des "hordes de migrants subsahariens" venus, selon lui, "changer la composition démographique" du pays.
Après avoir estimé en début de semaine que la Tunisie avait "donné une leçon d'humanité au monde" dans le traitement des migrants, il a indiqué vendredi que ce qu'elle leur "a offert est meilleur que ce qu'ils trouvent dans d'autres endroits".
"Nous sommes des Africains et fiers de notre appartenance africaine. Mais nous refusons d'être une terre de transit ou une terre d'installation", a-t-il ajouté, estimant que son pays est victime des agissements "de réseaux criminels de traite d'êtres humains".
Naila Zoghlami, présidente de l'Association tunisienne des femmes démocrates a souligné, aux côtés de M. Ben Amor, la vulnérabilité accrue des migrants, en particulier les femmes depuis le discours du 21 février, faisant état de viols.
Dans un communiqué, 28 ONG locales et internationales ont qualifié le discours de M. Saied de "pousse-au-crime" "qui n'a fait qu'encourager ces exactions et accorder un blanc-seing aux graves violences à l'encontre des personnes exilées".
Les ONG ont aussi dénoncé "les pressions exercées par l'UE sur la Tunisie dans le cadre d'une coopération inégale et marchandée en vue d'imposer à ce pays sa politique ultra-sécuritaire en matière d'immigration".
L'Union européenne veut faire de la Tunisie son "garde-frontière" pour "contenir les migrations +indésirables+ en échange d'une aide financière", selon eux.
Une délégation comprenant la présidente de la Commission européenne sera dimanche à Tunis dans l'objectif de finaliser un partenariat prévoyant des aides à la Tunisie pour lutter contre l'immigration clandestine.
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