Le Sénégal, réputé comme un îlot de stabilité en Afrique de l'Ouest, est en proie à de vives tensions depuis que le président Macky Sall a annoncé samedi, quelques heures avant l'ouverture de la campagne, le report de la présidentielle prévue le 25 février.
Cette décision sans précédent depuis l'indépendance, dénoncée avec virulence par ses détracteurs comme un "coup d'Etat constitutionnel", plonge le pays dans l'inconnu et fait craindre une ébullition. Elle a causé un tollé et donné lieu à de premiers rassemblements réprimés dimanche et à de premières interpellations.
L'internet des données mobiles a été coupé au moins dans plusieurs quartiers de Dakar lundi, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Le gouvernement avait déjà suspendu l'accès en juin 2023, dans un contexte de crise politique. La mesure est devenue ailleurs un moyen de riposte courant pour endiguer la mobilisation et la communication via les réseaux sociaux.
Les députés doivent débattre à partir de 11H00 (locales et GMT) d'une proposition de loi constitutionnelle qui reporterait le scrutin de six mois maximum, au cours d'une séance anticipée comme un moment crucial.
L'approbation requiert une majorité des trois cinquièmes des 165 députés. Elle n'est pas acquise. Le vote est prévu dans la journée. Adoption ou rejet, la situation demeurera hautement volatile.
L'opposition a appelé à manifester devant l'Assemblée nationale, placée sous la haute protection de dizaines de gendarmes et policiers appuyés par des véhicules lourds.
"Macky Sall dictateur"
Les forces de sécurité ont lancé deux grenades lacrymogènes pour faire partir un groupe de quelques dizaines de personnes qui refusaient d'obéir à leur injonction et qui se sont repliées plus loin en scandant "Macky Sall dictateur", du nom du président sénégalais.
L'un des manifestants, Malick Diouf, 37 ans, n'a pas de candidat préféré et même pas de carte d'électeur mais a jugé nécessaire de venir protester.
"L'essentiel pour moi est de dire non a cet agenda politique, ce coup de force pour essayer de rester au pouvoir", a-t-il dit à l'AFP.
C'est la première fois depuis 1963 qu'une présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal, un pays qui n'a jamais connu de coup d'Etat, une rareté sur le continent.
Ce précédent suscite l'inquiétude à l'étranger. La Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), les Etats-Unis, l'Union européenne, la France, partenaires importants du Sénégal, ont demandé de travailler à une nouvelle date.
Le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a appelé les Sénégalais à régler leur "différend politique par la concertation, l'entente et le dialogue", et demandé aux autorités d'"organiser dans les meilleurs délais les élections, dans la transparence, la paix et la concorde nationale".
La crise fait redouter au Sénégal un nouvel accès de fièvre comme ceux qu'il a connus en mars 2021 et juin 2023, qui ont causé des dizaines de morts et donné lieu à des centaines d'arrestations. L'opposition dénonce une dérive autoritaire du pouvoir.
Avec l'ajournement de la présidentielle, elle soupçonne un plan pour éviter la défaite inévitable selon eux du camp présidentiel, voire pour prolonger la présidence Macky Sall, malgré l'engagement réitéré samedi par ce dernier de ne pas se représenter.
Le candidat du camp présidentiel, le Premier ministre Amadou Bâ, est contesté dans ses propres rangs et fait face à des dissidents.
Le président Sall a invoqué le grave conflit qui a éclaté entre le Conseil constitutionnel et l'Assemblée nationale après la validation définitive par la juridiction de vingt candidatures et l'élimination de plusieurs dizaines d'autres. Il a allégué du risque de contestation pré- et post-électorale et de nouveaux heurts comme en 2021 et 2023.
Le Conseil constitutionnel joue un rôle capital de proclamer les résultats et de statuer sur les contestations.
Un député d'opposition, Ayib Daffé, a assuré sur les réseaux sociaux que des parlementaires du camp présidentiel avaient proposé, lors d'une réunion préparatoire à la séance de lundi, de prolonger d'un an le mandat du président sortant.
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