"Ce qui se produit en Afrique est une surprise stratégique. On est dans un moment historique, on quitte un ordre international, de manière assez violente, et un autre est en train d'apparaître", explique Niagalé Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network, organisation panafricaine dédiée à la réforme des systèmes de sécurité en Afrique.
En témoigne la succession ces dernières années de coups d'Etat en Afrique de l'Ouest, marqués par l'arrivée au pouvoir de juntes militaires au Niger, Burkina Faso, Mali et Guinée, le rejet quasi généralisé de la France dans la région et le départ des forces armées françaises dans plusieurs de ces pays.
"Une partie des Etats africains est en train de redéfinir son rapport à l'étranger et cherche à affirmer ses propres intérêts plutôt que de se définir par rapport à des alliances, passées ou futures", analyse Mme Bagayoko.
Une intense activité diplomatique est à l'œuvre depuis plusieurs semaines: Premier ministre nigérien en Russie, Turquie et Iran ; visite en Afrique du chef de la diplomatie chinoise, puis de son homologue américain ; délégation des Brics à Niamey, visite du président tchadien aux Emirats arabes unis puis à Moscou ou encore récent sommet Italie-Afrique.
– Grands projets –
Les pays africains cherchent de nouveaux alliés sécuritaires, "parce que ce qu'ils obtiennent de ces nouveaux acteurs est différent de ce qu'ils pouvaient recevoir de partenaires traditionnels comme les Etats-Unis ou la France", pointe Wolfram Lacher, spécialiste du Sahel à l'Institut allemand des affaires internationales et de sécurité.
La Centrafrique ou le Mali ont ainsi eu recours aux services de mercenaires russes pour tenter de mater les insurrections armées sur leurs territoires.
"La Russie ne pose pas de questions sur les droits humains, ne réclame pas la tenue des élections démocratiques, mais elle est prête tout simplement à aider les dirigeants africains à vaincre leurs ennemis", indique à l'AFP Konstantin Kalatchev, analyste politique russe.
Sur le plan économique, alors qu'il est régulièrement reproché aux Occidentaux de ne pas suffisamment investir en Afrique, cela fait certes "des années que le continent développe ses échanges avec d'autres pays que ses partenaires traditionnels. Mais (...) il est plus que jamais question de diversifier" les coopérations, souligne un diplomate de l'Union africaine s'exprimant sous couvert d'anonymat.
"Ce dont nous avons besoin, ce sont de grands projets d'infrastructures dans les transports, l'énergie, et tous ceux qui veulent y participer sont les bienvenus", ajoute ce diplomate, qui espère "le maximum d'investissements" et plus seulement de "l'aide budgétaire". A l'image du chemin de fer financé par Pékin reliant Djibouti à la capitale éthiopienne Addis Abeba, inauguré en 2017.
L'Afrique occupe une place importante dans la stratégie chinoise des "Nouvelles Routes de la soie", qui s'est longtemps traduite par l'octroi de prêts aux pays africains ou le financement d'infrastructures, même si le ralentissement économique en Chine et le surendettement africain ont récemment freiné cette dynamique.
D'autres puissances étrangères, quoique plus discrètes, jouent également leur partition sur le sol africain, comme la Turquie, l'Arabie saoudite, l'Iran ou encore les Emirats arabes unis.
− "Soft power" –
Avec plus de 40 ambassades en Afrique, Ankara a notamment vendu des drones de combat au Niger, Burkina Faso, Mali et Tchad ces dernières années, ainsi que des avions ou des blindés. Des entreprises turques ont aussi construit une mosquée au Ghana, des stades au Rwanda ou au Sénégal et des aéroports dans plusieurs pays. La compagnie Turkish Airline dessert plus de 60 destinations sur le continent.
Autre exemple, l'Arabie saoudite, après avoir diffusé son islam wahabite rigoriste sur le continent, s'investit désormais dans la lutte contre le terrorisme dans la Corne de l'Afrique, inquiète de possibles vagues migratoires en provenance de ces pays et soucieuse de maintenir la sécurité en mer Rouge pour défendre ses objectifs commerciaux et touristiques.
Il ne faut "pas lire l'évolution actuelle en Afrique qu'à travers le prisme économique ou militaire", prévient Niagalé Bagayoko.
"Le +soft power+ culturel et religieux est essentiel", notamment quand il émane de pays perçus comme autoritaires: "La figure de l'homme fort, c'est celle qui plaît le plus (...) sur le continent africain. Le facteur religieux est également fondamental", souligne la chercheuse.
Du reste, promouvoir un modèle de gouvernement autoritaire pour réussir dans la région, comme le fait la Russie, "vise très explicitement à saper l'influence et le discours de l'Occident", prévient M. Lacher.
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