Mali: quels enseignements tirer du lourd revers de l'armée et de son allié Wagner?

Publié le 30 juil. 2024 à 18:44

  • Mali: quels enseignements tirer du lourd revers de l'armée et de son allié Wagner?

L'armée malienne et ses alliés russes ont subi l'un de leur plus gros revers depuis des années dans le nord du Mali, encaissant de lourdes pertes après des combats contre les rebelles séparatistes, et une attaque des jihadistes.

"Il s'agit probablement de la perte la plus importante que (la milice russe) Wagner ait subie en Afrique au cours d'une seule bataille", a déclaré à l'AFP John Lechner, chercheur indépendant et auteur d’un livre à paraître sur Wagner.

Si aucun bilan officiel n'a été transmis, l'armée malienne a reconnu "un nombre important de morts" à Tinzaouatène, près de la frontière algérienne, et une chaîne Telegram associée à la milice russe Wagner a confirmé des pertes dans leurs rangs et la mort d'un commandant. Les séparatistes ont revendiqué "une victoire éclatante", l'un de leurs cadres évoquant des dizaines de morts parmi les Russes, tandis que les jihadistes du JNIM, affiliés à Al Qaïda, ont affirmé avoir tué 50 Russes et 10 Maliens.

Comment expliquer cet échec et qu'est-ce que cela peut changer ?

Que s'est-il passé à Tinzaouatène ?

Après avoir rompu l'alliance avec la France pour se tourner politiquement et militairement vers la Russie en 2022, la junte dirigée par le colonel Assimi Goïta a fait de la reconquête du territoire national sa priorité.

Les hostilités avaient repris en août 2023 après huit ans d'accalmie entre les belligérants. L'offensive de l'armée avait culminé en novembre par la prise de Kidal, bastion de la revendication indépendantiste, un succès symbolique largement salué au Mali.

Mais les rebelles n’ont pas déposé les armes et se sont dispersés dans cette région désertique et montagneuse, pourchassés par les forces maliennes qui affirment régulièrement prendre le contrôle de certaines localités.

Près de Tinzaouatène, les deux camps se sont livrés d'intenses combats, d'une ampleur inédite depuis des mois. Les rebelles ont pris le dessus au bénéfice d'une "tempête de sable", dit le groupe Wagner, qui aurait empêché la mobilisation de moyens aériens, selon des analystes.

Dans leur mouvement de repli, une partie de la colonne de l'armée a été prise au piège d'une attaque meurtrière des jihadistes. Le JNIM et l'alliance des groupes armés séparatistes à dominante touareg (CSP-DPA) se disputent le bilan et la victoire.

Selon M. Lechner, les forces armées maliennes ont pêché par "excès de confiance" depuis la prise de Kidal, mais il ne faut pas "surestimer" non plus la victoire des séparatistes.

En quoi ce revers militaire est significatif ?

Les séparatistes ont gagné une bataille militaire et symbolique qui pourrait leur donner "un second souffle" et être vécue comme "une humiliation" par le régime estime Yvan Guichaoua, enseignant chercheur à l'université de Kent.

Les vidéos diffusées par les rebelles et jihadistes montrent que les soldats blancs sont bien plus nombreux que les Maliens parmi les victimes alors que Bamako a toujours nié la présence de Wagner dans les opérations militaires, réduisant la présence russe à "des instructeurs".

"Il y a un coup politique qui est porté à Bamako, puisqu'on voit que c'est Wagner qui opère et que les Maliens jouent apparemment un rôle supplétif", poursuit M. Guichaoua.

Alors que la junte malienne a tout misé sur la conquête militaire qu'elle a érigée en priorité, cet échec tombe mal, au moment où le colonel Goïta était pressenti pour déclarer sa candidature à une présidentielle dont la date n'est toujours pas fixée.

"Les FAMas prennent pleinement et en toute responsabilité la mesure de cet évènement et procèdent actuellement à une analyse détaillée des événements pour en tirer toutes les leçons nécessaires", a indiqué lundi l'armée malienne.

Que peut-il se passer à présent ?

Selon Jonathan Guiffard, chercheur à l'institut Français de Géopolitique, cette défaite "atteste le démarrage de la guérilla asymétrique que va lancer le CSP contre les Famas et les Russes au Nord".

"Le CSP a encore des forces prêtes. Et le JNIM reste l'acteur le plus fort sur le terrain. De quoi donner quelques maux de têtes à l'armée malienne", estime-t-il.

Pour M. Guichaoua, l'armée malienne et ses alliés russes vont sans doute se "réorganiser" avant de reprendre les opérations au sol, mais vont utiliser les drones "contre les cibles qu'ils identifient, ce qui veut dire potentiellement beaucoup de victimes civiles, parce qu'ils ne font pas toutes les vérifications pour s'assurer que ce sont des militaires qui sont ciblés".

M. Lechner pense que la Russie a atteint "un point de non-retour" dans son engagement au Mali, mais qu'elle va s'apercevoir que ce terrain demande plus de moyens militaires. Malgré ce revers, "si les Russes continuent d'investir au Mali, ce sera un signal fort, et vécu comme un signal positif" pour la suite du partenariat avec Bamako, dit-il.