La fuite du cacao ivoirien vers le Ghana : Une menace économique en chiffres

Publié le 4 oct. 2024 à 08:27

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© Soir Info Par Sia KAMBOU

La Côte d'Ivoire, premier producteur mondial de cacao, fait face à un phénomène préoccupant : la fuite de son cacao vers le Ghana. Ce transfert illicite affecte lourdement l'économie ivoirienne, entraînant des pertes significatives pour les producteurs et le gouvernement. À travers une analyse de données disponibles, cet article explore les raisons de cette fuite et ses répercussions.

Depuis des décennies, la Côte d'Ivoire et le Ghana occupent respectivement le rang de premier et deuxième producteur mondial de cacao. Ensemble, les deux pays représentent plus de 60 % de la production mondiale.

En Côte d’Ivoire le cacao est une matière première qui représente à elle seule 40 % des recettes d’exportation et contribue de manière significative (pour 10 %) à la formation du PIB (produit intérieur brut), selon un rapport dénommé "Production durable de cacao en Côte d’Ivoire", réalisé avec l'assistance de l'Union européenne.

Structure d’exportation des matières premières dans le Produit intérieur brut (PIB) en %. Source : https://www.tresor.economie.gouv.fr/ 
Structure d’exportation des matières premières dans le Produit intérieur brut (PIB) en %. Source : https://www.tresor.economie.gouv.fr/ 

En effet, le cacao est une manne nourricière pour 25% de la population ivoirienne pour environ  1 million de planteurs, selon les chiffres du gouvernement ivoirien. 

Le poids du cacao dans l’économie

Structure d’exportation des matières premières dans le Produit intérieur brut (PIB)

Cependant, la Côte d'Ivoire, malgré sa position dominante, voit une partie de sa production fuir vers le Ghana voisin, où les producteurs espèrent obtenir de meilleurs prix et des conditions de marché plus favorables.

Ainsi donc, la commercialisation frauduleuse du cacao ivoirien ou trafic vers le Ghana s'est accentué à chaque grande crise socio-politique. Le retour à la normalité n'a pas freiné ce trafic. Certains producteurs ayant pris goût à ce trafic ont intensifié leur activité.

Source : kakaoplattform.ch
Source : kakaoplattform.ch

Les Causes de la fuite du cacao

Selon Geoffroy Kotchi Kama, économiste rural et consultant dans la cacao culture, les principales causes de la fuite du cacao ivoirien vers le Ghana incluent, "le manque d'esprit coopératif de la part des producteurs indélicats".

Continuant sur sa lancée, Kotchi Kama ajoute que "la proximité avec le Ghana, un pays qui partage 600 kilomètres de frontière avec la Côte d’Ivoire et où les prix du kilogramme du cacao proposé, sont plus élevés".

Evolution du prix du kilogramme de cacao en Côte d’Ivoire de 1960 à 2023

Source : Cette courbe montre une évolution du prix du kilogramme du cacao de 1960 à 2023 (<a href="https://data.gouv.ci/" target="_blank" rel="noreferrer noopener">https://data.gouv.ci/</a>).  
Source : Cette courbe montre une évolution du prix du kilogramme du cacao de 1960 à 2023 (<a href="https://data.gouv.ci/" target="_blank" rel="noreferrer noopener">https://data.gouv.ci/</a>).  

Ce graphique montre l'évolution du prix du kilogramme de cacao en Côte d'Ivoire de 1960 à 2024 exprimé en francs CFA. Le prix du cacao a connu une tendance générale à la hausse sur la période étudiée. La hausse a été particulièrement forte depuis les années 2000. Il y a eu des fluctuations importantes du prix d'une année à l'autre. Les prix les plus bas ont été enregistré entre 1960 et 1972 (moins de 100 FCFA) et le prix le plus élevé lors de la campagne 2023-2024 (1500 FCFA).

En effet, la différence de prix pratiqués dans les deux pays est souvent la réelle motivation pour certains planteurs d’aller brader leur producteur malgré les mises en garde de l’Etat ivoirien et les mesure de sécurité prises pour endiguer ce phénomène.

 Ce qui fait dire au spécialiste d’économie rurale que "les prix d'achat du cacao sont souvent plus attractifs au Ghana en raison de politiques de soutien aux producteurs", ajouté à cela "la liquidité proposée par les trafiquants de cacao (le percapita), l'inaccessibilité des voiries pour écouler leurs produits et la grande paupérisation qui gagne de plus en plus de planteurs de cacao".

A cela, il faut ajouter le taux de change : les fluctuations des taux de change entre le franc CFA et le cedi ghanéen jouent un rôle crucial.

Ce graphique montre les fluctuations du cedi ghanéen de septembre 2019 à septembre 2024
Ce graphique montre les fluctuations du cedi ghanéen de septembre 2019 à septembre 2024

                   

 Taux moyen du marché

Les infrastructures et la logistique, constituent également des causes de la fuite du cacao ivoirien vers le Ghana qui bénéficie de meilleures infrastructures de transport et de logistique, facilitant ainsi l'exportation.

La fuite du cacao entraîne des pertes économiques significatives pour la Côte d'Ivoire, surtout au niveau de la diminution des revenus fiscaux. (estimation)

En fait, le gouvernement ivoirien perd des revenus importants issus des taxes et des droits de douane sur le cacao. Ce qui n’est pas sans impact sur les producteurs locaux. Ceux-ci, ne bénéficiant pas des meilleures conditions de vente, subissent des pertes de revenus.

Cette situation provoque unedégradation de la compétitivité. La fuite du cacao ivoirien vers le Ghana, affaiblit donc la position concurrentielle de la Côte d'Ivoire sur le marché mondial du cacao.

Evolution de la production ivoirienne (en tonnes) de fèves de Cacao de 1960 à 2023

Source : Cette courbe montre une tendance générale à la hausse de la production de fèves de cacao sur la période de 1960 à 2023 (<a href="https://data.gouv.ci/" target="_blank" rel="noreferrer noopener">https://data.gouv.ci/</a> )  
Source : Cette courbe montre une tendance générale à la hausse de la production de fèves de cacao sur la période de 1960 à 2023 (<a href="https://data.gouv.ci/" target="_blank" rel="noreferrer noopener">https://data.gouv.ci/</a> )  

Ce visuel offre une vue détaillée sur l'évolution de la production de cacao en Côte d'Ivoire sur une période de plus de six décennies. Il contient des données annuelles sur la quantité de fèves de cacao produites, mesurées en tonnes métriques, et inclut les éléments suivants :

Sur ce graphique on voit une chute de la production nationale à partir de 2014 avec une accentuation en 2016. Cette période de la baisse de la production nationale des fèves de cacao, correspond au pic de la contrebande de ce produit d’exportation vers le Ghana voisin. Dans cet article de RFI, la Bourse café cacao indique que certains alarmistes estiment à 25% la chute de la production nationale en 2023.

Analyse des données et statistiques

Les données recueillies montrent une tendance inquiétante. Selon les statistiques officielles, on estime la quantité de cacao vendue illicitement au Ghana à environ 15 % de la production nationale ivoirienne. Cette fuite représente une perte de plusieurs millions de dollars pour l'économie ivoirienne.

En 2023, le volume de cacao exporté illicitement vers le Ghana est estimé à environ 300 000 tonnes et la perte annuelle pour la Côte d'Ivoire s’élève à près de 500 millions de dollars, soit près de 295 milliards de F CFA.

Sur le terrain, les producteurs de cacao confirment les analyses de l’économiste.

"Nous préférons vendre notre cacao au Ghana car les prix sont plus élevés et les paiements sont rapides", révèle Kassy Amoakon Jean-Baptiste, planteur à Bettié, localité de la région de l’Indénié-Djuablié, région frontalière avec le Ghana voisin et située à 166,3 Kilomètres d’Abidjan, capitale économique ivoirienne. Il se plaint des lenteurs lorsqu’il s’agit de se faire payer dans son propre pays.

Pour Amalaman Gilbert, confirme les propos et va plus loin : “le cacao ivoirien continuera de finir sur le marché au Ghana aussi longtemps que le Gouvernement va nous proposer des prix en dessous de ceux qu’offre le Ghana".

Ce producteur basé à Agnibilékro (Est de la Côte d’Ivoire) que nous avons pu joindre par téléphone, ne comprend pas que ce soit "le même cacao" et que "des prix soient aussi différents" entre les deux pays.

En un mot comme en mille, les producteurs de cacao dans la zone-est de la Côte d’Ivoire expliquent leur démarche de vendre leurs productions par la seule volonté de jouir du fruit de leur labeur.

Face donc à cette situation, l’Etat ivoirien a entrepris des initiatives aux fins d’endiguer ce phénomène qui prend de l’ampleur année après année.

Contrer le phénomène

Pour faire face à ce défi, le gouvernement ivoirien a mis en place plusieurs initiatives :  l’harmonisation des prix (en collaboration avec le Ghana) qui consiste à aligner les prix du cacao entre les deux pays, ceci en vue de réduire l'incitation à la fuite, constitue le premier rempart.

Ensuite vient le renforcement de la surveillance des frontières et des poches de passages vers le pays voisin.

Des mesures de sécurité renforcées ont été mises en place pour contrôler les passages de cacao à la frontière.

Pour l’économiste Kotchi Kama Geoffroy, il est impérieux pour l’Etat ivoirien de "développer des programmes de sensibilisation", à travers des médias et d’autres mécanismes, "sur les dangers de cette contrebande et de ce désinvestissement".

En plus de ces trois initiatives, l’Etat ivoirien a décidé également d’apporter du soutien aux producteurs.

Et cela passe selon Kotchi Kama par "la redynamisation des comités de suivi café cacao au sein des départements et surtout ceux les plus proches du Ghana", tout en préconisant "l’identification et la réhabilitation des pistes de desserte agricole", pour dit-il "permettre l'écoulement des produits des communautés proches du pays voisin".

Il existe des programmes de soutien financier et technique initiés par le gouvernement ivoirien pour améliorer les conditions de travail des producteurs locaux.

Les efforts consentis pour endiguer la fuite du cacao produisent très peu d’effets, alors que tout le sait le poids que représente dans l’économie ivoirienne, le cacao gage de prospérité pour les ivoiriens, si le secteur est maitrisé.