Lafarge lourdement sanctionné aux Etats-Unis pour avoir soutenu l'Etat islamique

Publié le 19 oct. 2022 à 08:02

  • Lafarge lourdement sanctionné aux Etats-Unis pour avoir soutenu l'Etat islamique

Lafarge a fait le «choix impensable» de collaborer en Syrie avec l’Etat islamique, selon le ministère américain de la Justice. Photo AFP

Lafarge a plaidé coupable aux Etats-Unis et va payer 778 millions de dollars pour avoir fait "le choix impensable" en 2013 et 2014 de collaborer avec le groupe "terroriste" Etat islamique (EI) en Syrie, un dossier pour lequel le cimentier est poursuivi en France pour "crimes contre l'humanité".

Le groupe français, avalé par l'entreprise suisse Holcim en 2015, a accepté de porter la responsabilité de certains de ses anciens dirigeants afin de solder les poursuites des autorités américaines, lesquelles estiment que ce qu'a fait Lafarge durant le conflit syrien a porté atteinte à la "sécurité nationale" des Etats-Unis.

"Au milieu d'une guerre civile, Lafarge a fait le choix impensable de mettre de l'argent entre les mains de l'EI, l'une des organisations terroristes les plus barbares au monde, afin de continuer à vendre du ciment", a tonné à New York le procureur fédéral de Brooklyn, Breon Peace.

Alors que la Syrie s'enfonçait dans le chaos en 2013 et 2014, l'entreprise a aussi "sollicité l'aide (du groupe terroriste) pour nuire à la concurrence de Lafarge en échange d'une partie" de ses ventes, a-t-il déploré. 

- Action extraterritoriale -

D'après la justice américaine, Lafarge a payé près de six millions de dollars au groupe EI et au Front Al-Nostra entre août 2013 et octobre 2014, sous forme de versements directs, de commandes auprès de fournisseurs contrôlés par l'EI ou de reversements d'un pourcentage des ventes, ainsi que 1,1 million de dollars à des intermédiaires. 

Ces arrangements lui auraient permis de dégager 70 millions de dollars de chiffre d'affaires.

La sanction financière inclut une amende de 91 millions de dollars et 687 millions correspondant aux actifs illégalement obtenus ou conservés.

Pour justifier cette action extraterritoriale contre les agissements d'une entreprise française en Syrie, la numéro deux du ministère de la Justice Lisa Monaco a expliqué à la presse que "lorsque des entreprises et leurs dirigeants adoptent un comportement qui menace notre sécurité nationale — en l'occurrence en alimentant une organisation terroriste violente — le ministère réagira avec détermination".

- Inculpation en France -

Pour les mêmes faits, Lafarge est inculpé en France de "complicité de crimes contre l'humanité".

Dans le cadre de cette information judiciaire ouverte en juin 2017, le groupe est soupçonné d'avoir versé en 2013 et 2014, via sa filiale syrienne Lafarge Cement Syria (LCS), plusieurs millions d'euros à des groupes "terroristes" ainsi qu'à des intermédiaires. 

L'enquête de la justice française a évalué ces versements entre 4,8 et 10 millions d'euros pour le seul groupe EI. Lafarge est également suspecté d'avoir vendu à l'EI du ciment de l'usine et d'avoir payé des intermédiaires pour s'approvisionner en matières premières auprès de factions jihadistes.

Cette procédure portant sur des faits partiellement commis en France, l'information judiciaire se poursuit, a souligné mardi le parquet national antiterroriste (Pnat) auprès de l'AFP.

Le juge d'instruction français va pouvoir demander les pièces liées à la sanction américaine et les verser au dossier.

Contrairement aux Etats-Unis, l'entreprise ne pourrait pas négocier en France une convention judiciaire d'intérêt public (Cjip), c'est-à-dire payer une amende contre l'abandon des poursuites pénales, car la loi ne le permet pas pour les soupçons de complicité de crimes contre l'humanité.

Lafarge a assuré mardi continuer à coopérer pleinement avec les autorités françaises, mais se dit aussi prêt à "se défendre contre toute action judiciaire qu'il considère injustifiée".

- Le nom Lafarge abandonné -

L'action de Holcim, la maison mère de Lafarge, a été temporairement suspendue à la Bourse suisse mardi après la parution des premières informations sur l'accord avec le ministère américain de la Justice.

Après la reprise de sa cotation, elle a fini en hausse de 2,8%, les investisseurs appréciant généralement quand une entreprise solde des poursuites judiciaires.

Holcim affirme n'être en rien mêlé à cette affaire antérieure à la fusion avec Lafarge en 2015 pour créer un géant mondial du béton qui s'appelait d'abord LafargeHolcim. Mais le nom Lafarge, à la réputation entachée, a été abandonné l'an dernier pour redevenir simplement Holcim.

D'ailleurs, "les anciens dirigeants de Lafarge avaient dissimulé leur agissement avant et après l'acquisition" de 2015, a insisté le groupe suisse dans un communiqué, soulignant que les autorités américaines avaient reconnu que Holcim n'était "en aucune façon impliqué".

Lafarge a enfin assuré que tous les cadres impliqués avaient quitté le groupe.