Huit (8) heures du matin dans un stade de Gammarth, dans la banlieue nord de Tunis. Ce jour-là, un vent léger souffle sur la capitale tunisienne, drainant au passage des feuilles mortes asséchées qui trainent au sol en ce temps d’été. Il fait chaud malgré l'humidité et les brises de la mer Méditerranée.
C’est dans cette ambiance estivale que des dizaines de jeunes footballeurs viennent s’échauffer tous les jours. Ils ont entre 15 et 24 ans et proviennent, pour la plupart d’entre eux, du Cameroun, du Mali, du Burkina Faso, du Nigeria, de la Guinée Conakry et de la Côte d’Ivoire, entre autres.
Ces jeunes ont quitté l’Afrique subsaharienne pour la Tunisie, ayant tous à cœur le rêve de devenir footballeurs professionnels et de se bâtir une renommée, avec à la clé, le désir de faire sortir leurs familles respectives de la pauvreté.
Un miracle possible aujourd’hui grâce au foot business ou foot circus. A la tête de ce "commerce de l’espoir", on trouve des managers sérieux, mais aussi des trafiquants sans scrupules.
Et pour plusieurs de ces jeunes footballeurs africains que nous avons croisés dans la capitale du pays des aigles de Carthage, c’est la même histoire depuis un certain temps.
En effet, venus faire des essais avec un club de football de la Tunisie, par le biais des agents de joueurs, ils n’ont jamais eu un seul entretien avec un dirigeant ou responsable d’un staff d’une quelconque équipe.Par le simple fait que ces agents qui les ont fait venir dans ce pays du Maghreb ne sont en réalité que des "arnaqueurs".
Et pourtant, les parents de ces footballeurs professionnels en devenir, ont dû mettre la main à la poche pour permettre à leurs progénitures d’effectuer le voyage. Livrés pour la plupart à eux-mêmes après leur arrivée, ces jeunes errent comme des âmes en peine dans les rues de Tunis.
Abandonnés qu’ils ont été par leurs managers. Ils vivent de rapines et de vols à la tire. S’ils ne sont pas transformés en esclaves dans des labeurs gargantuesques par des personnes peu scrupuleuses. Ils deviennent des proies pour les pédophiles cachés sous le manteau des touristes.
Pour la signature du contrat, repassez demain
Franck Koffi fait partie de ce lot de joueurs africains à qui des agents ont fait miroiter des promesses mirobolantes et un avenir certain dans le foot. Il n’a pas hésité à tenter le pari. Arrivé en 2022 en Tunisie par le biais de "Tino" et "Roland", deux agents de joueurs, Franck Koffi n’a jamais pu faire son trou dans un club. Et ce n’est pas faute de talent ou de volonté de sa part.
C’est qu’il n’a jamais eu la moindre proposition émanant d’un club, fut-il le moins connu du gotha du football tunisien. La faute à ces agents à qui il a fait confiance et qui se sont révélés par la suite, comme de dangereux escrocs.
Et sans le savoir, Franck Koffi bercé par les paroles mielleuses et attrayantes de ces agents d’un autre acabit, a convaincu ses parents de débourser la rondelette somme de trois (3) millions de francs CFA (4500 euros).
‘’J’ai pratiquement ruiné mes parents et hypothéqué l’avenir de mes frères pour mon voyage en Tunisie. Ce sont toutes les économies de mon père qui ont été utilisées pour l’achat de billet d’avion et pour le paiement des frais d’inscription’’confesse-t-il, avant d’ajouter ‘’ j’ai cru qu’en venant ici en Tunisie, avec les promesses qui m’ont été faites par ces agents, je pourrais changer la situation de la famille. Mais hélas...’’
Tout comme lui, Traoré Sato, de nationalité burkinabè, est aussi arrivé en Tunisie dans ces mêmes conditions. Approché par Alexandre Kaboré, se disant agent de joueur, il a quant à lui, déboursé un million cinq cent mille (2000 euros) pour venir en Tunisie.
‘’Il m’a dit que je devrais être logé dans un internat et intégrer un centre de formation dans un délai très bref. Après quoi, je pouvais faire un test dans l’un des grands clubs tunisiens.’’ Fait-il savoir, avant de conclure : ‘’tout ça n’était que de la poudre aux yeux. Je suis arrivé et je n’ai rien vu. Il n’y avait même pas quelqu’un pour venir me chercher à l’aéroport. Aujourd’hui, je ne sais plus à quel saint me vouer.’’
Tunis, le cimetière des rêves des jeunes footballeurs
En ce matin ensoleillé d’été, Franck Koffi a le visage taillé à la serpe et le regard noir. Les mouvements ne semblent pas l’enchanter. Il y a de quoi. Franck a le sommeil troublé et il ne dort pratiquement plus depuis cette nouvelle fatidique.
Traqué depuis lors par la police, celle-ci a pu mettre le grappin sur lui. Et faute de titre de séjour, il doit quitter la Tunisie au plus vite. Ainsi prend fin le parcours de ce jeune footballeur ivoirien en Tunisie. Et pourtant, le scénario est loin d’être celui que s’imaginait ce natif d’Abidjan. ‘’ Je commence à douter sérieusement de mon avenir au football. Comment ma famille va accueillir cette nouvelle ? S’est-il interrogé.
En attendant que le délai avant son expulsion n’expire, Franck Koffi comme la plupart de ces jeunes footballeurs, fait des ‘’djossi’’ (travail au noir) pour ne pas mourir de faim.
Après avoir quitté Franck Koffi, nous croisons à la Marsa, l’un des quartiers chauds de Tunis, Kandem Crépin, un jeune camerounais. Dépenaillé avec ces cheveux hirsutes et le regard livide, marqué par plusieurs jours de privations de nourriture, il a de la peine à tenir sur ses pieds. Il se présente à nous comme un footballeur qui a été abandonné par son agent dès leur arrivée dans la capitale tunisienne. "Trois jours après notre arrivée, il a disparu, nous laissant seuls dans l’hôtel", a-t-il révélé, les yeux embués de larmes.
Continuant sur sa lancée, il a indiqué que "celui-ci qui se faisait passer pour un agent de footballeurs a exigé la somme de trois millions de francs CFA à chaque parent". "Nous étions cinq (5) jeunes footballeurs dont les parents ont accepté de payer cette somme qui allait nous ouvrir les portes du professionnalisme, mais à l’arrivée tout ceci n’était que mensonges et tromperies", a-t-il affirmé.
A la question de savoir comment ont-ils payé leur séjour d’hôtel, le natif de Douala a soutenu que "le gérant de l’hôtel nous a demandé de faire nos bagages et de libérer les chambres après une semaine".
Dans nos échanges, il ressort que celui qu’ils appelaient "Oncle Jacob", n’a pas daigné régler la note d’hôtel, puis, il s’est volatilisé avec les passeports des gosses. Craignant sans doute que ceux-ci ne partent à la police pour le dénoncer.
Kandem Crépin nous a aussi fait savoir que pour manger, "ses camarades et lui font la manche ou la plonge dans les restaurants du centre-ville de Tunis, pour pouvoir se nourrir".
Combien de temps pourront-ils vivre de cette façon ou comment comptent-ils faire regagner leur pays d’origine ? Devant ses questions, le jeune camerounais fond littéralement en larmes. "Nous ne sommes pas prêts à retourner au pays", a-t-il argué avant de s’interroger. "Comment nos amis, vont-ils nous regarder ?" "Que deviendront nos parents ?" "Peut-être la risée de leur entourage ?"
Accusés, levez-vous !
Devant ce spectacle à la fois désolant et pitoyable, quelle est la part de responsabilité des parents ou des familles et des responsables des centres de formation d’où partent ces enfants année après année affronter l’inconnu ?
Pour Amza Gamal, président fondateur de l’Olympic club d’Abobo (OSA), une équipe évoluant dans la ligue professionnelle de football (LPF) en Côte d’Ivoire et formateur de plusieurs joueurs de renommée mondiale dont le champion d’Afrique, Ousmane Diomandé du Sporting club de Lisbonne au Portugal, les responsabilités sont partagées entre les parents et les agents de joueurs.
"Selon les informations que j’ai par rapport à ceux qui ont été victimes, les centres de formation ne sont pas responsables", a-t-il déclaré, disculpant au passage les écoles de football qui foisonnent dans les villes ivoiriennes, notamment dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire.
Ajoutant au passage qu’il accuse plutôt "les agents véreux qui mentent aux enfants et surtout les parents qui donnent l’argent à ces agents véreux sans réfléchir".
De retour à Abidjan, nous avons décidé de prendre attache avec les parents de Frank Koffi pour avoir leur version des faits. Nos demandes de rendez-vous n’ont pas trouvé d’échos favorables auprès des géniteurs de notre jeune footballeur. Et malgré nos efforts, tous ceux que nous avons pu identifier comme étant les parents de jeunes footballeurs partis à l’aventure au Maghreb et principalement en Tunisie, n’ont pas daigné répondre à nos sollicitations.
Interrogé sur le départ massif de ces jeunes footballeurs vers un eldorado fictif, Coach Amza Gamal déclare "qu’en toute sincérité", il ne pouvait pas "se prononcer sur ce phénomène", puisque selon lui, il "n’a jamais été confronté à cela".
Plus aventuriers que footballeurs selon la FIF
Indexée par plusieurs acteurs du foot local de ne rien faire afin d’endiguer ce phénomène, la fédération ivoirienne de football (FIF) récuse cette accusation. Par la voix d’Yves Tiémélé son chef de département communication, la faitière du football en Côte d’Ivoire, nous a ramenés à la procédure en vigueur dans le cadre d’un transfert d’un joueur qui quitte le championnat ivoirien pour un autre pays.
"Lorsqu’un joueur évoluant dans un club affilié à la FIF, est convoité par un autre d’un pays étranger, celui-ci contacte son homologue ivoirien par un courrier officiel", a-t-il révélé avant d’ajouter qu’après réception de la lettre, "le club ivoirien via la fédération ivoirienne de football (FIF) ouvre un dossier dans le but d’obtenir le certificat international de transfert. Un document indispensable dans la carrière de tout footballeur qui quitte un pays pour un autre".
Revenant à la situation de ces jeunes footballeurs en délicatesse dans le pays d’Habib Bourguiba, Yves Tiémélé martèle que pour la FIF, "ils ne sont pas footballeurs, mais plutôt des aventuriers".
Pour lui, ce phénomène dépasse le simple cadre sportif, il va bien au-delà. "C’est un problème diplomatique et il revient à l’Etat ivoirien de réagir", suggère-t-il avant de nous conseiller de "bien appréhender la question pour ne pas faire un faux diagnostic".
Mais attendant que le bon diagnostic soit posé par les autorités étatiques, les jeunes footballeurs africains, et notamment ivoiriens, continuent de broyer du noir dans les rues de Tunis… Leur rêve de devenir footballeur professionnel s’est transformé depuis peu, en un long cauchemar...
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