Ils "nous isolent" au lieu de rassembler: Henri Verdier, ambassadeur en charge de la politique internationale de la France en matière de numérique, dénonce dans un livre les effets délétères des réseaux sociaux sur le débat public, et appelle l'ONU à se saisir du problème.
"La démocratie a été conçue comme un espace de controverses qui se résolvent par des décisions collectives", rappelle l'ambassadeur français pour le numérique, qui vient de publier "Le business de la haine", co-écrit avec le spécialiste des médias Jean-Louis Missika.
"Mais le gros problème des réseaux sociaux, c'est qu'on finit par se retrouver dans des bulles: on nous présente surtout des gens qui nous ressemblent, des informations qui nous plaisent, des publicités conçues pour les gens qui nous ressemblent... Tout cela nous isole", déplore-t-il dans un entretien avec l'AFP.
"Hegel disait que la lecture du journal est la prière de l'homme moderne mais, aujourd'hui, ce n'est plus vrai. C'est prendre le pouls de sa communauté qui est devenu la prière de l'homme moderne", ajoute-t-il.
Face à une "tribalisation de la société", où les groupes "s'ignorent et se méprisent", Henri Verdier et Jean-Louis Missika plaident pour une réaction vigoureuse de la puissance publique.
A partir du moment où les réseaux sociaux "captent 80% de notre temps en ligne, où ils sont le principal accès à l'information" pour beaucoup de gens dans le monde, "on ne peut plus les considérer seulement comme des entreprises" privées, explique Henri Verdier.
Les deux grands textes européens de régulation d'internet en cours de discussion à Bruxelles, le DSA ("Digital Services Act") et le DMA ("Digital Markets Act") constituent un pas important, selon lui.
- "il n'y a que l'ONU" -
Le DSA va permettre d'imposer "un cadre de responsabilité" aux grands réseaux sociaux en les obligeant à identifier les "risques systémiques" (manipulations intentionnelles de l'information par exemple) qu'ils entraînent pour la société, et à "rendre compte" des efforts qu'ils font pour limiter ces risques (comme le recours à la modération).
Le DMA, de son côté, doit permettre de "se doter d'outils pour lutter contre les monopoles", en permettant aux autorités de la concurrence d'empêcher une plateforme de racheter une entreprise concurrente "avant que l'abus de position dominante ne soit constitué", détaille Henri Verdier.
Mais il faut aller plus loin, estiment les deux auteurs qui suggèrent le lancement d'une "conférence des parties" à l'ONU, semblable à celle lancée sur le climat.
Celle-ci se pencherait sur la gouvernance de cet "espace public de débat" que constituent désormais les réseaux sociaux et les grandes plateformes.
"On est en train de parler de quelque chose qui concerne la recherche, les médias, la politique, les pays émergents, les pays riches, les pays dont l'Etat est balbutiant", et qui "est en train de tisser les relations humaines sur toute la planète", de "devenir la matrice de nos échanges", fait valoir Henri Verdier.
"On ne dit pas qu'il faut donner les clefs des réseaux sociaux à l'ONU", mais "il faudrait que l'agora principale de ces échanges soit là. Il n'y a que l'ONU qui peut rassembler toutes les parties prenantes avec la légitimité requise".
Les principes que pourrait définir la "conférence des parties" seraient ensuite déclinés dans le monde dans le respect "du principe de subsidiarité", précisent, prudents, MM. Verdier et Missika.
Chaque pays ou chaque ensemble régional "pourra prendre les décisions qui le concernent", préconisent-ils.
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