Le recours jeudi à l'article 49.3 de la Constitution pour adopter sans vote le projet de réforme des retraites est presque unanimement considéré comme un revers pour Emmanuel Macron, qui a beaucoup misé de son crédit politique sur cette réforme clé de son second quinquennat. Après ce coup de tonnerre, les opposants vont tenter de faire basculer l'exécutif dans une crise politique.
Trois motions de censure pourraient être déposées avant l'heure limite en milieu d'après-midi: une par le parti d'extrême droite Rassemblement national, une par la coalition de gauche Nupes, et une troisième par un petit groupe centriste dissident.
Elles seront votées au moins 48 heures plus tard, plus probablement lundi. Pour faire chuter le gouvernement, elles devront rassembler une majorité absolue de députés. Cela semble difficilement atteignable, vu que la coalition présidentielle dispose d'une majorité relative et que le parti de la droite traditionnelle Les Républicains (LR), qui a un rôle pivot, a assuré qu'il n'en voterait aucune. Mais certains députés LR frondeurs pourraient désobéir à la ligne officielle.
"Nous avons un problème de démocratie parce que ce texte, qui va changer la vie des Français, va être adopté sans qu'il y ait eu le moindre vote à l'Assemblée nationale", a assuré le député LR Aurélien Pradié à la chaîne BFMTV. "Que chacun mesure la gravité de la situation et le risque de rupture démocratique qu'il y a dans notre pays".
De leur côté, les syndicats vont tenter de redonner du souffle aux manifestations et grèves qui émaillent la vie des Français depuis la mi-janvier, mais qui étaient en perte de vitesse jusqu'à jeudi.
- Manifestations prévues -
Ils appellent à des rassemblements vendredi et ce week-end, ainsi qu'à une neuvième journée de grèves et de manifestations le jeudi 23 mars.
Les syndicats ont dénoncé un passage "en force" et mesuré "avec gravité la responsabilité que porte l'exécutif dans la crise sociale et politique qui découle de cette décision, véritable déni de démocratie".
Les forces de l'ordre sont intervenues jeudi soir pour évacuer la place de la Concorde à Paris, où s'étaient rassemblés plusieurs milliers de manifestants. En fin de soirée, 217 personnes avaient été interpellées, selon la préfecture de police.
Des incidents ont aussi éclaté dans d'autres grandes villes comme Rennes, Nantes, Amiens, Lille ou Grenoble. A Marseille (sud), des jeunes masqués ont fracassé la vitrine d'une banque et un panneau publicitaire tandis que d'autres ont mis le feu à des poubelles aux cris de "à bas l'Etat, les flics et le patronat", a constaté un journaliste de l'AFP.
"Je m'étais dit qu'ils respecteraient un peu la démocratie. A priori je suis très naïve donc j'ai été surprise, je croyais qu'ils n'allaient pas oser user du 49.3", a protesté Karen Mantovani, manifestante à Grenoble. "Tout le monde grogne mais ça manque d'action", a-t-elle regretté, se disant "révoltée".
La présidente du groupe Renaissance - le parti présidentiel - à l'Assemblée nationale, Aurore Bergé, a demandé jeudi au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin de "mobiliser les services de l'Etat" pour la "protection des parlementaires" de la majorité.
- Poubelles -
Gouvernement et opposition de gauche s'accusent mutuellement de pousser à la violence.
Le député écologiste (Nupes) Julien Bayou a accusé jeudi le gouvernement d'être "prêt à mettre le pays à feu et à sang". Mme Borne s'est pour sa part dite "très choquée" par l'attitude de certains députés de l'opposition. "Ils veulent le chaos à l'Assemblée et dans la rue", a-t-elle mis en garde.
Les grèves qui durent depuis plusieurs jours dans l'énergie, les ports et le ramassage d'ordures créent des perturbations, et d'autres blocages pourraient survenir vendredi.
A Paris, dont certains quartiers croulent sous des tonnes d'ordures, les autorités vont réquisitionner des personnels pour évacuer les poubelles.
Selon Elisabeth Borne, la décision de recourir à l'article 49.3 a été "collective" entre le gouvernement et le chef de l'Etat. Elle est largement considérée comme un revers pour Emmanuel Macron après plusieurs semaines de pourparlers avec partis politiques et syndicats.
C'est un "révélateur de l'isolement d'Emmanuel Macron" pour le journal Le Monde. "La suite du quinquennat risque d'être durablement plombée" pour le journal de gauche Libération. Le patron du syndicat CFDT Laurent Berger évoque un "naufrage".
"C'est un crash", estimait même un responsable du groupe présidentiel à l'Assemblée, sous couvert d'anonymat, avant d'ajouter: "il faut une dissolution" de l'Assemblée nationale et convoquer des élections législatives anticipées.
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