Ce texte étend la portée de la loi de 1977 sur la corruption étrangère (Foreign Corrupt Practices Act, FCPA), destinée à sanctionner les entreprises versant des pots-de-vin et leurs agents.
La loi sur la prévention de l'extorsion étrangère (FEPA), promulguée en décembre par le président Joe Biden dans le cadre de la réglementation sur la Sécurité nationale, cible désormais le camp receveur: des responsables de gouvernements étrangers qui réclament et acceptent de tels versements.
Auwal Musa Rafsanjani, un militant des droits humains et anticorruption au Nigeria, espère que ce texte va instiller "un certain degré d'inquiétude" chez les dirigeants qui estimaient jusque-là jouir d'une "impunité".
Scott Greytak, directeur du plaidoyer de l'ONG Transparency International aux Etats-Unis, s'attend à ce que la FEPA réduise la corruption.
"Chaque employé de chaque gouvernement étranger est prévenu que le poids du gouvernement des Etats-Unis peut lui tomber dessus", relève-t-il. Selon lui, "cela va changer les comportements".
Mais Mike Koehler, professeur à l'école de droit de l'université Southern Illinois, considère que la nouvelle mesure n'est que "symbolique", incitant plutôt les autres pays à appliquer leurs propres législations anticorruption.
- Guerre froide -
La FCPA a vu le jour dans le contexte d'enquêtes liées au scandale du Watergate, après des révélations de paiements effectués au bénéfice de responsables étrangers par de grandes entreprises américaines, comme les groupes de défense Lockheed Martin et pétrolier Mobil Oil.
Si cette loi datant de la Guerre froide interdit aux entreprises américaines de procéder à de tels paiements, elle empêche en revanche de poursuivre des représentants de gouvernements étrangers par crainte pour les intérêts diplomatiques des Etats-Unis.
Le ministère de la Justice est néanmoins parvenu au fil des ans à faire des mises en accusation grâce à d'autres mesures, comme le blanchiment d'argent.
Parmi les plus grosses affaires menées dans le cadre de la FCPA, figure une sanction de 2,9 milliards de dollars en octobre 2020 contre la banque Goldman Sachs, au sujet du versement, pour décrocher des contrats, de pots-de-vin à des responsables de Malaisie et de l'émirat d'Abou Dhabi. En particulier une émission obligataire de 6,5 milliards de dollars pour le fonds souverain de Malaisie 1MDB.
Le militant nigérian Auwal Musa Rafsanjani cite une affaire lancée par le ministère de la Justice américain et ses homologues, notamment en France et en Italie, à l'encontre d'un consortium de quatre entreprises ayant remporté pour 6 milliards de dollars de contrats pour construire des infrastructures de gaz naturel liquéfié à Bonny Island, au Nigeria.
Mais aucun responsable nigérian n'a été emprisonné, selon lui.
- Réticence à extrader -
L'indice annuel de perception de la corruption, publié mardi par Transparency International, montre que deux-tiers des pays se situent en-dessous de 50 à cause, entre autres maux, de forces de l'ordre sous-payées. Le Nigeria obtient 25, quand le meilleur score est 100.
Reste que des considérations de politique étrangère pourraient toujours entraver des poursuites, malgré l'avènement de la FEPA, remarquent des experts juridiques, soulignant également la probable réticence des gouvernements à extrader leurs responsables mis en cause.
Les partisans de cette loi la voient comme un moyen de faire de la lutte contre la corruption une priorité. Elle prévoit en particulier la publication par le ministère de la Justice d'un rapport annuel sur l'ampleur du phénomène et un bilan de ses poursuites.
La FEPA place le combat contre la corruption "au premier plan", relève Patrick Stokes, qui se trouvait du côté de l'accusation lors des poursuites dans l'affaire Bonny Island.
"En pratique, le nouveau texte n'étend que marginalement les outils du DoJ (ministère de la Justice) pour traquer la corruption", estime-t-il.
Mais il "peut avoir un réel effet dissuasif en établissant clairement que les responsables étrangers peuvent être poursuivis pour avoir demandé ou accepté des pots-de-vin", ajoute M. Stokes.
Pour Jason Linder, ancien procureur fédéral, la demande de pots-de-vin reste "robuste parce que la corruption est endémique dans certains pays" et que les législations des pays développés ne s'applique qu'à "un très faible pourcentage" de ces activités.
La FEPA représente une "étape très constructive" mais "reste à voir comment le DoJ va l'appliquer", insiste-t-il. Et l'ampleur de sa réussite devra être mesurée "dans les prochaines décennies".
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