Les médias Sénégalais ont observé une "journée sans presse" le 13 aout, 2024, pour protester contre des mesures répressives prises à leur encontre par le nouveau gouvernement

Publié le 17 août 2024 à 10:30

  • Les médias Sénégalais ont observé une "journée sans presse" le 13 aout, 2024, pour protester contre des mesures répressives prises à leur encontre par le nouveau gouvernement

Le Conseil des Diffuseurs et Éditeurs de la Presse du Sénégal (CDEPS), organisation représentant les sociétés de radiodiffusion et d’édition, a lancé un appel à la suspension des publications et diffusions en signe de protestation contre les mesures draconiennes imposées par le nouveau gouvernement.

En réponse, de nombreux médias ont cessé leurs activités le mardi suivant cet appel, à l'exception de quelques journaux arborant tous un même titre : "Journée sans presse", écrit en rouge et blanc sur fond noir.

Sur les chaînes de télévision, les écrans sont restés vides, tandis que les sites web et les stations de radio se sont limités à diffuser de la musique, sans fournir d'informations ni de présentations en direct.

La "grève" a pour objectif de dénoncer une pression multiforme exercée sur les entreprises de presse par les nouvelles autorités. Parmi ces actes de répression, le gel du Fonds d’appui au développement de la presse et la saisie des comptes de certaines entreprises de presse. En outre, les autorités ont suspendu les abonnements de l’État aux journaux, tout en annulant d’une manière unilatérale ses contrats publicitaires.

Le nouveau gouvernement a également décidé de réclamer 38 milliards de francs CFA aux entreprises de presse. Le montant se reparti en 13 milliards de francs CFA de dettes fiscales et de 25 milliards de francs CFA de redevances à l'Agence de Régulation des Télécommunications et de la Poste (Artp).

En plus du gel des comptes des entreprises défaillantes, les autorités ont procédé à des mises en demeures et la confiscation du matériel de production de certains organes de presse.

"Nous ne refusons pas de payer, et nous payons nos impôts. Par contre, ce que nous demandons, c’est que compte tenu de la spécificité du secteur, qu’il y ait une fiscalité adaptée comme en France et ici au Sénégal dans les secteurs de l’agriculture, du logement social, de la santé", avait déclaré à la presse Mamadou Ibra Kane, président du Cdeps et patron d’Avenir Communication.

Cette déclaration a été faite à l’issue d’une réunion d’urgence tenue le 5 juin.

La réunion d’urgence a été provoquée par, entre autres soucis, le gel des comptes d’Avenir Communication de la saisie de ses comptes pour un montant de 91 millions de francs CFA.

"La procédure est trop rapide. Et on pourrait s’interroger pourquoi les impôts sont très diligents par rapport à certaines entreprises et non pas par rapport à d’autres", s’est indigné Mamadou Ibra Kane, président du Cedeps à RFM, lors d’un entretien avec la radio RFM le 12 juin.

Pour M. Kane a dénoncé ce qu’il considérait comme l’utilisation de la puissance publique à des fins politiciennes.  

La saisie des comptes bancaires a contraint plusieurs organisations médiatiques, dont les éditeurs des quotidiens Stades, Sunu Lamb et Vox Pop, à suspendre leur publication.

Outre ces pressions économiques, les médias accusent le nouveau gouvernement de s’en prendre à la liberté de la presse au Sénégal, rappelant la diatribe récente du Premier ministre lors d'une réunion des jeunes cadres de son parti, le Pastef.

"On ne va plus permettre que des médias écrivent ce qu’ils veulent sur des personnes, au nom d’une soi-disant liberté de la presse, sans aucune source fiable", avait déclaré Ousmane Sonko le 9 juin 2024 à Dakar.

Ces propos ont provoqué une vague d'indignation au sein de la presse, de la classe politique, et de la société civile sénégalaise.

Cependant, la répression n’est pas limitée à des avertissements ou menace de la part des nouvelles autorités.  Plusieurs journalistes ont été récemment interpellés, parmi lesquels Pape Moussa Traoré, directeur de publication du journal La Tribune, et Mohamed Guèye, directeur de publication du journal Le Quotidien.

Ces deux journalistes ont été interrogés par la police avant d'être relâchés le 31 mai, après avoir été accusés de publier de fausses informations concernant le transfert d'un général de l'armée à New Delhi en tant qu'attaché militaire de l'ambassade du Sénégal.

La Fondation des médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) salue le sacrifice consenti par la presse sénégalaise pour assurer sa survie face à des défis multiples dont elles font face. Nous nous félicitons de la solidarité des acteurs des médias qui ont largement suivi le mot d’ordre pour la journée sans presse et fait part de sa solidarité avec la presse sénégalaise.

Nous appelons les autorités à privilégier le dialogue et à adopter une approche plus compréhensive vis-à-vis des entreprises de presse. Il est de l’intérêt des nouvelles autorités de soutenir et de promouvoir une presse indépendante, car celle-ci a joué un rôle crucial dans la consolidation de la démocratie et la préservation de la paix sociale au Sénégal, pays qui reste un modèle de démocratie en Afrique.

Pour rappel, la MFWA, en collaboration avec six autres organisations régionales et internationales, a récemment adressé une lettre ouverte aux nouvelles autorités sénégalaises pour leur demander de faire de la liberté de la presse une priorité nationale.