1. DES POLITIQUES DE L'EDUCATION DURABLES, SYSTEMIQUES ET NEGOCIEES
La plupart des pays tendent à accorder aux établissements scolaires une certaine autonomie, au minimum dans l'usage des ressources et l'organisation du travail, parfois dans les choix curriculaires. On demande aussi aux établissements de construire un projet, entendu comme une déclinaison locale de la politique régionale ou nationale, un ensemble d'objectifs et de priorités adaptés au contexte spécifique (Broch et Cros, 1990 ; Gather Thurler, 1998 a, 2001 c ; Obin, 1992, 1993, 1995 ; Pelletier, 2001 ; Perrenoud, 1999 b, 2001 b).
Les systèmes éducatifs centralisés s'habituent graduellement à ne fixer aux établissements qu'un cadre institutionnel flexible et des " paramètres curriculaires ", comme on dit au Brésil, autrement dit des axes prioritaires. Cela délimite un espace à l'intérieur duquel il reste possible de faire des choix, ce qui offre aux acteurs de l'établissement la possibilité :
- De négocier un projet entre eux, en fonction de leurs compétences, de leur histoire, de leur analyse de la situation, de ce qui leur tient à cœur ;
- De conclure un partenariat avec les représentants des parents et des collectivités locales ;
- De s'adapter ouvertement, parce que légitimement, à la réalité des élèves et de leur environnement familial, socioéconomique, géographique, ethnique.
2. DES ETABLISSEMENTS QUI ONT LES MOYENS DE LEUR AUTONOMIE ET SAVENT RENDRE COMPTE DE L'USAGE QU'ILS EN FONT
Les politiques de l'éducation ne seront fortes que si, décidées légalement, elles sont aussi négociées avec les professionnels et les usagers. Les décisions se prendront alors un peu moins vite, mais les acteurs impliqués dans la négociation soutiendront en général les compromis qui en résultent (Gather Thurler, 2000 c et d, Perrenoud, 1999 a, 2002 f et g).
Faute de savoir ou de vouloir mener ce second type de négociations, nombre de ministères se trouvent rapidement isolés, coalisant contre eux des mécontents qui s'opposent au changement pour des raisons diverses et parfois contradictoires, mais suffisantes pour mettre une réforme en échec.
Les dispositifs de concertation et de pilotage négocié demandent une certaine " imagination sociologique ", pour tenir compte de la culture politique, administrative et syndicale du pays, de la force des associations de parents et d'enseignants, de la configuration des institutions de formation et de recherche. Il n'y a pas de modèle unique, de tels dispositifs sont toujours des bricolages politico-institutionnels fragiles.
3. DES PROFESSIONNELS COMPETENTS, AUTONOMES ET REFLEXIFS, ENGAGES DANS UNE AMELIORATION CONTINUE ET COOPERATIVE DES PRATIQUES ET DES DISPOSITIFS
Un bon professeur doit évidemment maîtriser sa discipline, pour planifier correctement ses cours, concevoir et animer toutes sortes d'activités d'apprentissage, notamment des recherches, des situations-problèmes, des projets. Or, même dans le registre classique de la maîtrise des savoirs à enseigner, certains professeurs sont en défaut, parce que leur formation disciplinaire n'est pas assez poussée, ou parce qu'elle est trop dogmatique et " scolaire " pour favoriser une transposition didactique intelligente et flexible.
À la maîtrise d'une discipline doit s'ajouter une formation à la didactique correspondante. Cette dernière paraît maintenant assurée dans presque tous les systèmes éducatifs développés, sauf dans l'enseignement supérieur. Les écarts sont plus grands dans le domaine des " approches transversales ", autrement dit de tout ce qui est commun aux diverses disciplines ou les englobe, par exemple l'évaluation, la régulation de processus d'apprentissage, le travail sur le sens et le rapport au savoir, la gestion de l'hétérogénéité et de la diversité des cultures, le contrôle des absences et des conduites, les relations avec les parents, la médiation des conflits, la pédagogie coopérative, la gestion de la classe, l'organisation du travail à l'échelle de plusieurs classes ou d'un cycle d'apprentissage pluriannuel, la collaboration avec des spécialistes des difficultés d'apprentissage, des troubles médico-pédagogiques, de la prévention, du travail social.
4. DES CADRES EXERÇANT UN LEADERSHIP PROFESSIONNEL PLUS QU'UN CONTROLE BUREAUCRATIQUE
La professionnalisation du métier d'enseignant ne fait pas disparaître les fonctions d'encadrement, en particulier celle de chef d'établissement. Elles doivent en revanche évoluer pour tenir compte d'une plus grande autonomie et donc d'une plus forte responsabilité à la fois des établissements et des professeurs.
Prendre au sérieux l'idée de communauté de professionnels ne conduit pas à dire " Tous égaux, pas besoin de chef ". Jouer le rôle d'un chef, dans ce contexte, devrait consister cependant à exercer un leadership professionnel plutôt qu'une autorité bureaucratique (Bouvier, 1994 ; Gather Thurler, 2000 a ; Pelletier, 1996).
Aucun système éducatif ne peut se passer d'une structure hiérarchique. Quelqu'un doit représenter l'établissement à l'extérieur (étage supérieur du système, autres établissements, parents, collectivités locales, syndicats) et se porter garant du fonctionnement de l'ensemble à l'intérieur, avec le droit de décider en dernière instance. On peut souhaiter que cet aspect de la fonction soit le corollaire plutôt que l'envers d'un leadership professionnel.
5. DES CURRICULA FLEXIBLES, ALLANT A L'ESSENTIEL ET VISANT DES OBJECTIFS DE FORMATION EXPLICITES ET RAISONNABLES
Les programmes peuvent contribuer fortement à la fabrication de l'échec scolaire, de trois manières :
- En accentuant inutilement la distance entre la culture scolaire et celle des classes populaires.
- En fixant des exigences démesurées, condamnant dès lors une partie importante des élèves à ne jamais atteindre les objectifs.
- En étant pléthoriques, ce qui force à les " parcourir " à un rythme effréné, que les élèves en difficulté ne peuvent pas tenir.
L'école n'a pas de sens si elle renonce à toute exigence ou n'enseigne pas le dixième de ce qui paraît nécessaire dans une société contemporaine. On pourrait cependant rechercher un compromis plus équilibré, pour créer des curricula flexibles, allant à l'essentiel et visant des objectifs de formation explicites et raisonnables.
Des objectifs raisonnables sont des objectifs accessibles à la grande majorité des élèves, sans redoublement, sans leçons particulières, sans soutien pédagogique exceptionnel, sans mobilisation démesurée des parents pour aider au travail scolaire. Pour aller dans ce sens, il faut changer de paradigme, ou du moins trouver un autre équilibre entre les deux logiques principales des systèmes éducatifs :
- Préparer la future élite aux longues études ;
- Donner une culture générale de base à tous, quel que soit leur destin ultérieur.
6. DES DIDACTIQUES CONSTRUCTIVISTES ET DES DISPOSITIFS PEDAGOGIQUES CREANT DES SITUATIONS D'APPRENTISSAGE FECONDES
Les programmes peuvent contribuer fortement à la fabrication de l'échec scolaire, de trois manières :
- En accentuant inutilement la distance entre la culture scolaire et celle des classes populaires.
- En fixant des exigences démesurées, condamnant dès lors une partie importante des élèves à ne jamais atteindre les objectifs.
- En étant pléthoriques, ce qui force à les " parcourir " à un rythme effréné, que les élèves en difficulté ne peuvent pas tenir.
L'école n'a pas de sens si elle renonce à toute exigence ou n'enseigne pas le dixième de ce qui paraît nécessaire dans une société contemporaine. On pourrait cependant rechercher un compromis plus équilibré, pour créer des curricula flexibles, allant à l'essentiel et visant des objectifs de formation explicites et raisonnables.
Des objectifs raisonnables sont des objectifs accessibles à la grande majorité des élèves, sans redoublement, sans leçons particulières, sans soutien pédagogique exceptionnel, sans mobilisation démesurée des parents pour aider au travail scolaire. Pour aller dans ce sens, il faut changer de paradigme, ou du moins trouver un autre équilibre entre les deux logiques principales des systèmes éducatifs :
- Préparer la future élite aux longues études ;
- Donner une culture générale de base à tous, quel que soit leur destin ultérieur.
7. UNE ORGANISATION DU TRAVAIL SCOLAIRE MISE PRIORITAIREMENT AU SERVICE D'UNE PEDAGOGIE DIFFERENCIEE
· Les professeurs n'aiment pas le langage de la " gestion des ressources humaines ". Pourtant, au-delà des mots, il reste à comprendre comment et pourquoi, dans un système, le tout peut être parfois beaucoup plus, parfois beaucoup moins que la somme des parties. C'est toute la question de la division et de l'organisation optimale du travail.
· Les systèmes éducatifs ont adopté au XIXème siècle une " organisation pédagogique " (Giolitto, 1983) qui a permis la scolarisation massive des générations. Répartir les élèves en groupes-classes et placer un ou plusieurs enseignants " à la tête " de chacune permet de quadriller le territoire. Il a été tout aussi décisif, dans l'histoire du système éducatif, de répartir les contenus à enseigner en programmes annuels, de sorte à rendre possible la prise en charge des élèves par des professeurs qui se succèdent " à leur chevet ", chacun sachant ce qu'il a à faire, puisque le cursus est construit comme une série d'étapes annuelles.
· Cette division du travail scolaire, inspirée de l'organisation industrielle du travail, fait la force gestionnaire de ce système. Il lui permet de reproduire un modèle de base, en l'adaptant, à la marge, à la taille des écoles et à leur évolution démographique.
· Ce système atteint aujourd'hui ses limites. Dans les pays développés, l'enjeu n'est plus de scolariser, mais d'instruire chacun. Il ne suffit plus dès lors que chaque élève ait une place dans une classe et qu'à chaque classe on attribue un ou plusieurs professeurs. Lorsque ces conditions sont réunies, un ministre peut dire que " la rentrée s'est bien passée ". S'il est soucieux de l'efficacité de l'école, il doit se poser d'autres questions.
8. UNE DIVISION EQUITABLE ET NEGOCIEE DU TRAVAIL EDUCATIF ENTRE LES PARENTS ET L'ECOLE
· L'école n'a pas le monopole de l'éducation et n'a plus - l'a-t-elle jamais eu ? - le monopole de l'instruction. Les parents enseignent à leurs enfants, les frères et sœurs parfois aussi, de même que les copains, les amis de la famille, les grands-parents. S'ajoutent aujourd'hui à ces ressources traditionnelles l'apport des médias audiovisuels et plus récemment du multimédia et d'Internet.
· Je me limiterai ici à la question de la division du travail entre les parents et l'école. On en traite souvent sous l'angle de l'information des parents, de leur participation à la gestion de l'école, de leurs droits et devoirs. On oublie trop souvent que la première interaction entre les parents et les enseignants s'opère à travers leurs interventions respectives, contradictoires ou cohérentes, auprès de l'enfant ou de l'adolescent (Montandon et Perrenoud, 1994).
· Les enseignants ont toujours rêvé et rêvent encore que les parents soient des auxiliaires dociles de l'entreprise de scolarisation, qu'ils fassent dormir leurs enfants, surveillent leurs devoirs, les poussent à se préparer à l'évaluation et surtout leur disent jour après jour à quel point il est important de travailler à l'école, de se concentrer, de prendre les savoirs au sérieux.
· Démunis, indifférents ou rebelles, tous les parents ne sont plus des alliés très sûrs des enseignants. Ils peuvent aisément devenir des adversaires si leurs attentes sont déçues ou leurs valeurs mises en doute. Le " team des adultes " se défait, remplacé parfois par une absence d'interlocuteur du côté des familles, parfois par une coalition familiale qui donne toujours tort à l'école lorsque l'enfant est mal noté, réprimandé ou s'il ne reçoit pas toute l'aide à laquelle les parents estiment qu'il a droit.
9. DES PROFESSIONS FONDEES SUR DES SAVOIRS ETAYES PAR LES SCIENCES SOCIALES ET HUMAINES
· Il n'est pas rare d'entendre dire qu'enseigner relève de l'art, de l'ineffable, de l'incomparable, de l'inanalysable, voire de l'impensable. Cette forme d'obscurantisme nuit à l'efficacité du système éducatif. Le déni de tout savoir " objectif " permet de justifier n'importe quelle pratique pédagogique. Ceux qui défendent ce point de vue contestent d'ailleurs souvent l'idée même d'efficacité en éducation, ou laissent entendre que sa définition revient à chaque professeur.
· Pour que le système éducatif devienne plus efficace, il importe que la majorité des professeurs admettent :
· 1. Que l'action éducative est finalisée et qu'on peut donc, sans être un incurable technocrate, interroger les rapports entre ses fins déclarées et les résultats obtenus.
· 2. Qu'elle met en jeu des processus didactiques, pédagogiques, psychologiques, linguistiques et sociologiques d'une certaine généralité et qu'elle peut donc faire l'objet de savoirs explicites et partagés, établis par la confrontation des expériences et des démarches de recherche.
10. UNE CULTURE DE L'EVALUATION PLUS INTELLIGENTE
L'idée même que l'école puisse être interrogée sur son efficacité est combattue par une partie des enseignants. Ils affirment que l'efficacité est une valeur économique et pour faire bonne mesure brandissent le spectre de la mondialisation et de la société marchande. Ils craignent que l'efficacité inégale des enseignants, une fois dévoilée, ne justifie des sanctions ou des discriminations, en termes de revenu ou de carrière. Ils dénoncent l'absurdité d'une obligation de résultats et l'absence de prise en compte de la grande diversité des contextes de travail et des publics scolarisés. Ils ironisent sur le caractère rudimentaire ou fallacieux des indicateurs utilisés, des enquêtes internationales, des palmarès publiés dans la presse. Ces réticences amalgament hélas des critiques fondées et un rejet intégral de toute évaluation de l'enseignement.
Le souci de l'efficacité, lorsqu'il devient obsessionnel et brutal, soude le corps enseignant dans la résistance et conduit les plus novateurs à prendre la défense des plus conservateurs. On peut sans trop d'hésitation avancer l'hypothèse que si elle ne devient pas plus nuancée et dialogique, la culture de l'évaluation contribuera à ralentir le processus de professionnalisation et à disqualifier les sciences sociales aux yeux des enseignants, en les réduisant au statut d'auxiliaires méthodologiques d'opérations éminemment politiques.
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