L'auteur revient sur le formidable revirement observé vis-à-vis du potentiel du gaz africain dans le contexte du conflit ukrainien pour établir un état des lieux optimiste sur le potentiel du continent comme maillon essentiel des chaînes de valeur internationales dans le cadre de la transition énergétique en cours au niveau mondial.
Il est un débat dont la nature a radicalement changé en quelques mois : celui autour du gaz naturel. En novembre dernier, cette énergie fossile qui émet deux fois moins de gaz à effet de serre que le charbon et 30% de moins que le pétrole, était en voie de bannissement. Lors de la COP26 de multiples voix avaient appelé à la réduction des subventions accordées aux énergies carbonées, gaz compris. Trois mois plus tard pourtant, le 2 février dernier, la Commission européenne l’intronisait « énergie de transition » et lui accordait, sous certaines conditions, le label « vert » pour les investissements destinés aux centrales électriques à gaz. Au même moment, la tension était au plus haut entre la Russie et l’Ukraine. Trois semaines plus tard, l’offensive russe allait couper certains pays européens de plus de la moitié de leur approvisionnement en gaz. Très réactif, Rome, dont 45% des fournitures de gaz provenaient alors de Moscou, signait quelques semaines plus tard des accords d’approvisionnement avec l’Algérie, l’Égypte, la République du Congo et l’Angola…
Les financements gaziers, qui tendaient à se raréfier ces derniers temps, retrouvent brusquement le chemin de l’Afrique. Avant même ce retournement, une étude du cabinet norvégien Rystad Energy publiée en février dernier estimait que le continent, dont les côtes regorgent de gaz naturel, pourrait voir sa production doubler d’ici 2030, de 1,3 million à 2,7 millions de barils équivalent pétrole.
Ironie de l’histoire, cette fenêtre d’opportunité qui semblait se refermer en cache d’autres liées elles-aussi à la transition énergétique et à la lutte contre le changement climatique. Les ressources minières du continent, d’abord, sont les éléments de base d’une transition énergétique éminemment vorace en métaux. Pour produire un terawatt d’électricité, une centrale solaire nécessite trois fois plus de quantité de métal qu’une turbine à gaz. Une centrale éolienne quatre fois plus. Cobalt, cuivre, graphite, nickel, aluminium, lithium… De la Guinée à la Tanzanie, du Gabon à l’Afrique du sud en passant par la Zambie, ces métaux « verts », qui sont aussi des composants essentiels de la fabrication de batteries pour véhicules électriques, sont présents en abondance. Son potentiel en matière de production d’hydrogène ensuite. Coût maîtrisé du foncier, ensoleillement, proximité avec l’Europe et sa demande croissante doivent en théorie lui permettre de fournir une production d’hydrogène à grande échelle à un prix compétitif. Déjà, une dizaine de projets d’hydrogène vert sont actuellement en développement de l’Égypte à la Namibie en passant par la Mauritanie.
Certes, personne ne voit l’hydrogène devenir un vecteur d’énergie rentable et en quantité suffisante avant de nombreuses années mais c’est bien une nouvelle fenêtre qui s’ouvre.
Sont-ce cela les « nouveaux chemins de la prospérité africaine » que l’AFRICA CEO FORUM appelle de ses vœux ? Certainement pas. Si cette manne promise est une bonne nouvelle au sortir d’une période qui a fortement affecté les finances publiques du continent, celui-ci a trop longtemps subi la malédiction des matières premières pour répéter les mêmes erreurs.
Le marché mondial des véhicules électriques (gourmands en cobalt) pourrait représenter plus de 1 300 milliards de dollars d’ici 2030, un peu moins du tiers du PIB de l’Afrique tout entière en 2021. Gouvernants et leaders économiques doivent s’interroger sur la meilleure stratégie afin de capter une partie de cette valeur ajoutée sur le sol africain. Une ambition moins fantaisiste qu’elle n’y paraît. Selon l’Uneca, produire des batteries en RDC coûteraient 30% moins cher qu’aux Etats-Unis et 20% moins cher qu’en Chine. Déjà, l’Afrique du Sud et le Maroc se sont lancés dans la production de véhicules électriques.
Selon différentes estimations, pour rendre la Zone de libre-échange continental africaine (ZLECAf) effective, l’Afrique nécessiterait plus de 2 millions de camions. « Pourquoi ces camions ne seraient pas des camions électriques produit en Afrique ? » s’interrogeait récemment le Dr Vera Songwe, secrétaire général de l’Uneca. De la même manière, le retour en force du gaz africain dans la géopolitique mondiale doit servir l’électrification du continent. Les dirigeants africains peuvent désormais s’assurer que cette dimension locale existe dans les projets gaziers, et, plutôt que de s’engager dans des projets faisant fi de l’impact socio-économique, les financiers internationaux pourraient accorder des conditions préférentielles à de plus vertueuses ambitions. Enfin, l’Afrique doit défendre ses intérêts et faire entendre sa voix pour lutter contre l’établissement en Europe et aux Etats-Unis de nouvelles barrières tarifaires au nom de l’environnement. Ces stratégies protectionnistes freinant dans les faits la capacité d’investissement des entreprises africaines.
Dans ces batailles, le développement des infrastructures indispensables à la naissance de marchés régionaux de taille suffisante, sera clé. Un leadership politique, résolu et continu, sera également indispensable. Le 29 avril dernier, la signature par la RDC et la Zambie d’un accord de coopération pour faciliter le développement de la chaîne de valeur des batteries électriques sur leur sol est une pierre sur le chemin.
Pour l’Afrique, ce chantier mondial est une opportunité multiforme et générationnelle, une chance historique. Ses ressources minières, gazières, en énergies renouvelables, en hydrogène vert et en matière de patrimoine forestier doivent contribuer à cette transformation industrielle qu’elle n’a pas encore pu atteindre. Les ruptures technologiques incroyables connues à travers le monde, et désormais accessibles, doivent l’y aider.
La COP27, qui aura lieu en novembre prochain au Caire, doit permettre au continent d’avancer en ce sens, et permettre de réconcilier transition énergétique et transformation économique. Charge au continent, et en premier lieu à ses investisseurs panafricains et champions nationaux, de réussir une délicate équation : faire de la transformation verte une source de croissance et de transformation industrielle, faire de ses gisements la source du développement local et régional. Après deux ans d’une pandémie qui a bouleversé les économies, et alors que sévit une guerre qui a remis la souveraineté économique au cœur des débats, l’ambition pour le continent est forte : créer de nouveaux chemins vers la prospérité !
Amir Ben Yahmed
President fondateur de Africa CEO Forum
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