Contribution au débat sur la prétendue illégalité du mandat du Président du Conseil constitutionnel : quelques remarques cursives

Publié le 15 mai 2023 à 17:13 Modifié le 15 mai 2023 à 17:18

  • Contribution au débat sur la prétendue illégalité du mandat du Président du Conseil constitutionnel : quelques remarques cursives

En ma qualité de citoyen ivoirien, qui plus, d’Enseignant-chercheur en droit public à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké et de formateur en droit constitutionnel à l’École Nationale d’Administration (ENA), il m’est apparu nécessaire de prendre part au débat généralisé au sein de l’opinion publique sur la prétendue illégalité du mandat du Président du Conseil Constitutionnel.

Le 25 juillet 2011, le Professeur Francis WODIE est nommé Président du Conseil Constitutionnel Ivoirien par le Président de la République, son Excellence Monsieur Alassane OUATTARA, en remplacement du Professeur Paul Yao N'DRE. Le Professeur WODIE démissionna de cette fonction le 03 février 2015.

Il est remplacé à la même date par M. Mamadou KONE, Magistrat Hors Hiérarchie qui occupe jusqu’à présent la présidence de la juridiction constitutionnelle suprême.

Partant, des voix s’élèvent pour dénoncer le caractère illégal de la présence de l’actuel Président du Conseil constitutionnel à la tête de ladite juridiction.

Une telle analyse est-elle juridiquement fondée ?

Aux termes de l’article 90 de la Constitution ivoirienne de 2000 (Constitution en vigueur au moment des nominations respectives du Professeur WODIE et de Mamadou KONE), repris à l’article 129 de la Constitution de 08 novembre 2016, le Président de la République nomme le Président du Conseil Constitutionnel pour une durée de six (6) ans, non renouvelable.

En l’espèce, M. Mamadou KONE a été nommé le 03 février 2015, en remplacement de Francis WODIE. En nous limitant à cette disposition constitutionnelle, on serait tenté de croire que M. Mamadou KONE aurait dû quitter la présidence du Conseil Constitutionnel en date du 03 février 2021. Vu ainsi, les choses paraissent évidentes et tout profane pourrait facilement déduire qu’ayant été nommé en 2015 en remplacement du Professeur Francis WODIE, le Juge Mamadou KONE aurait dû quitter ce poste en 2021. Sauf que les choses ne sont pas aussi faciles qu'elles puissent paraître. 

Le mandat du président Koné Mamadou n'a pas expiré et ne saurait être considéré comme étant illégal. Bien au contraire, et je vais m’attacher à le démontrer juridiquement.

Affirmer que le mandat du Président KONE Mamadou est illégal apparait comme un raisonnement juridiquement inopérant car ne prenant pas en compte les dispositions de la loi organique relative à l’organisation et au fonctionnement du Conseil Constitutionnel. Or, il est de principe que la Constitution ivoirienne fasse un renvoi aux lois organiques pour une meilleure compréhension de l’organisation et du fonctionnement des Institutions de la République.

En effet, aux termes de l’article 102 alinéa 1er de la Constitution ivoirienne du 08 novembre 2016 modifiée par la loi constitutionnelle numéro 2020-348 du 19 mars 2020, reprenant les dispositions de l’article 71 alinéa 6 de la Constitution ivoirienne du 1er août 2000,  les lois organiques sont celles qui ont pour objet de préciser ou de compléter les dispositions relatives à l’organisation ou au fonctionnement des institutions, structures et systèmes prévus ou qualifiés comme tels par la Constitution.

Partant, la réponse à la question de la prétendue illégalité du mandat de l’actuel Président du Conseil Constitutionnel commande que nous séjournions au préalable au-dedans de la loi organique relative au fonctionnement du Conseil constitutionnel pour en découvrir le contenu afin de donner quelques lumières juridiques aux uns et aux autres.  

Il ressort de l’article 7 de la loi organique n° 2001-303 du 5 juin 2001 déterminant l'organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel qu’’"en cas de décès, démission ou empêchement absolu pour quelque cause que ce soit, le Président ou les conseillers sont remplacés dans un délai de huit jours pour la durée des fonctions restant à courir, conformément aux dispositions de l’article 4".

Le professeur Francis WODIE a été nommé le 25 juillet 2011, Président du Conseil constitutionnel et a démissionné le 02 février 2015. Son mandat arrivait à expiration en juillet 2017. La nomination du président KONE était donc transitoire conformément à l’article 7 sus-indiquée.

Eu égard à sa nature transitoire, le délai de deux ans n’avait, en conséquence, aucune incidence sur la durée du mandat de M. Mamadou KONE et ce, depuis sa nomination le vendredi 14 juillet 2017.

En termes simples, c’est donc conformément à l’article 7 de la loi organique n° 2001-303 du 5 juin 2001  du Conseil constitutionnel (désormais article 8 de la loi organique n° 2022-222 du 25 Mars 2022 déterminant l'organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel) que Monsieur Mamadou KONE a été nommé le 03 février 2015 par le Président de la République en remplacement de Monsieur Francis Vangah WODIE, Président démissionnaire, pour parachever le mandat de celui-ci qui courait jusqu’au 25 juillet 2017.

Par ailleurs, il importe de préciser qu’un décret présidentiel nommant M. Mamadou KONE a la tête du Conseil Constitutionnel a été pris à la fin de la période transitoire du mandat du Président du Conseil constitutionnel qui courrait jusqu’au 25 juillet 2017. Ainsi, après avoir assuré l’intérim de Monsieur Francis Vangah WODIE jusqu’au 25 juillet 2017, il a plu au Président de la République de reconduire, en bonne et due forme, M. Mamadou KONE, à la tête du Conseil constitutionnel pour une durée de six ans non renouvelable par décret n°2017-477 du 14 Juillet 2017

D’ailleurs, un communiqué officiel de la Présidence de la République y relatif, avait à l’époque été lu par les soins de l’actuel Premier Ministre, alors Ministre Secrétaire Général de la Présidence de la République. Ce communiqué est encore disponible sur le site suivant : (https://news.abidjan.net/articles/618568/communique-de-la-presidence-de-la-republique-de-ce-vendredi-14-juillet-2017-relatif-aux-nominations).

En clair, et suivant la logique de notre démonstration susvisée, le mandat de M. Mamadou KONE, en qualité de Président du Conseil Constitutionnel, débuté le 25 juillet 2017 devra en principe s’achever, sauf erreur de ma part, le 25 juillet 2023.

Au regard de tout ce qui précède, il serait juridiquement infondé d’affirmer péremptoirement que l’actuel Président du Conseil Constitutionnel exerce un mandat illégal, voire inconstitutionnel. Autrement dit, M. Mamadou KONE a juridiquement le droit d’être à la tête du Conseil Constitutionnel jusqu’au 25 juillet 2023 après une lecture combinée et à froid,  de l’article 90 de la Constitution ivoirienne du 1er août  2000 (repris à l’article 129 de la Constitution de novembre 2016 modifiée en mars 2020)  et de la loi organique numéro 2001-303 du 5 juin 2001 déterminant l’organisation et le fonctionnement du Conseil Constitutionnel (repris à l’article 8 de la loi organique numéro 2022-22 du 25 mars 2022 déterminant l’organisation et le fonctionnement du Conseil Constitutionnel).

 Dr NENE BI Arsène Désiré

 Enseignant-Chercheur en Droit Public

Enseignant-Formateur en droit Constitutionnel à l’École Nationale d’Administration (ENA)