Réinventer les médias ivoiriens : Un nouveau modèle économique et une nouvelle gouvernance pour un paysage médiatique viable

Publié le 21 nov. 2024 à 13:15

  • Réinventer les médias ivoiriens : Un nouveau modèle économique et une nouvelle gouvernance pour un paysage médiatique viable

Le paysage médiatique ivoirien est à l'aube d'une indispensable transformation. Entre défis socio-économiques, mutations numériques et attentes croissantes du public, le modèle actuel peine à répondre aux exigences d'un environnement en constante évolution.

À l'heure où la confiance dans les médias vacille et où leur viabilité financière est menacée, il est impératif de repenser leur fonctionnement, leur financement et leur régulation.

Un diagnostic alarmant : Entre précarité et fragmentation

Les médias ivoiriens évoluent dans un cadre institutionnel complexe et économiquement fragile. Les médias publics (Radiodiffusion Télévision Ivoirienne, Fraternité Matin et l'Agence Ivoirienne de Presse), jouent un rôle crucial dans l'éducation, l'information, la promotion des valeurs nationales et le divertissement. Pourtant, leur dépendance aux financements publics compromet leur équilibre éditorial et leur survie. Cette situation est aggravée par une gouvernance souvent perçue comme politisée, où les dirigeants sont nommés sur des critères qui ne permettent pas toujours de percevoir l'efficacité et l'innovation.

Les médias privés, quant à eux, doivent faire face à une précarité financière exacerbée par la domination des plateformes numériques internationales et la concurrence des médias internationaux sur le marché publicitaire. Ce déséquilibre limite leur capacité à produire des contenus de qualité et à investir dans leur développement.

À cette situation économique s'ajoute une régulation fragmentée. Deux entités ; l’Autorité Nationale de la Presse (ANP) et la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), partagent la régulation des médias, sans réelle coordination, ni véritable capacité d'adaptation face aux bouleversements numériques induisant de nouvelles habitudes de consommation.

Pour un projet de régulation moderne et unifiée avec "l'ANComM"

La coexistence de l'ANP et de la HACA avec les lois de 2017, modifiées en 2022 sur la presse, l’audiovisuel et le numérique ont montré des limites dans un contexte où les frontières entre médias audiovisuels, presse écrite et plateformes numériques s'effacent. Le projet de création d'une Autorité Nationale de la Communication et des Médias (ANComM) apparaît comme une solution indispensable.

Cet organisme unique aurait pour mission d'assurer une régulation cohérente de l'ensemble des médias, en tenant compte des enjeux liés à la convergence technologique. En centralisant la régulation, l'ANComM garantirait un meilleur suivi des pratiques journalistiques, une promotion accumulée du pluralisme et une protection efficace des droits des consommateurs et des professionnels des médias.

Réformer la gouvernance des médias publics et instaurer un modèle économique innovant et solide

La crédibilité des médias publics repose sur une gouvernance exemplaire et efficace. Pour rompre avec les nominations jugées souvent partisanes, il convient d'adopter un système d'appel à candidatures ouvertes. Les dirigeants des médias publics seraient choisis sur la base de compétences, d’expériences, mais aussi à partir de projets d'entreprise clairs et ambitieux, définissant des objectifs précis sur une période de trois ans, renouvelable une seule fois.

Ce modèle garantirait une redevabilité accrue et encouragerait l'innovation. Chaque dirigeant serait évalué sur sa capacité à mettre en œuvre sa vision, à moderniser son institution et à répondre aux attentes des citoyens et des gouvernants. L'objectif est de transformer les médias publics en institutions crédibles et exemplaires, porteuses d'une vision nationale inclusive et pluraliste.

Un modèle économique repensé pour la pérennité

Face à la crise de financement des médias, un modèle hybride s'impose, alliant financement public pour les médias publics et ouverture du marché publicitaire pour les privés.

Financement direct des médias publics par l’Etat et par la publicité institutionnelle

L'État doit garantir un financement pérenne pour les médias publics à travers un budget dédié leur permettant de se concentrer sur leurs missions de service public. Cela inclut la production de contenus éducatifs, informatifs et culturels de qualité, sans la pression de rentabilités commerciales immédiates. Dans ce modèle, la publicité institutionnelle sera aussi une source de financement venant des ministères, des agences publiques et des autres structures étatiques. Cela inclurait :

• Les campagnes de sensibilisation (santé publique, éducation, environnement...).

• Les communications institutionnelles (grands projets nationaux, initiatives gouvernementales, projets et programmes de partenaires internationaux et bailleurs de fonds ).

• Les messages liés aux événements nationaux (fêtes, commémorations, conférences).

L'objectif est d'assurer un flux de revenus stable tout en alignant les contenus sur les priorités du développement national.

Un marché publicitaire réservé aux médias privés

En laissant le marché publicitaire aux médias privés (TV, radios, presse, digital), cela leur offre une opportunité d'autonomie financière, tout en limitant la concurrence des entités publiques sur ce segment. Cette mesure favoriserait l'essor de médias privés dynamiques et compétitifs.

Un soutien à l'innovation et à la formation

A côte de tout cela, l'État ivoirien devrait financer des initiatives visant à moderniser les pratiques, accompagner les producteurs et soutenir le travail des journalistes, notamment à travers des incubateurs de projets de production, de digitalisation et des formations continues.

Une vision pour l'avenir des médias ivoiriens

La réforme du secteur médiatique ivoirien est une nécessité pour accompagner les ambitions démocratiques, socio-économiques et culturelles du pays. Avec un régulateur unique, une gouvernance transparente et un modèle économique repensé, les médias ivoiriens pourront retrouver leur rôle central dans la société : celui d'informer, d'éduquer et de promouvoir les valeurs.

Ce nouveau cadre offrira non seulement une réponse aux défis actuels, mais ouvrira également la voie à un paysage médiatique plus équilibré, plus résilient et en phase avec les aspirations du peuple ivoirien.

Lacinan Ouattara, Journaliste 

Spécialiste en Management des médias et digital 

Diplômé en Journalisme à - Université Félix Houphouet Boigny d’Abidjan

Diplomé en Management des Médias -Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ) de Lille

Diplôme en Management - IAE Lille University School of Management