Ces femmes, souvent en première ligne de la lutte pour la préservation des écosystèmes, sont paradoxalement privées de moyens et de droits égaux pour protéger et bénéficier de ces ressources. En Côte d’Ivoire, le tableau est tout aussi préoccupant : 75 % des femmes du milieu rural vivent en dessous du seuil de pauvreté, alors qu’elles représentent 65 % de la main d’œuvre agricole selon la Banque mondiale.
Dans un contexte où la déforestation et le changement climatique accentuent la fragilité des écosystèmes (plus de 80% de la couverture forestière perdue en 50 ans, soit plus de 13 millions d’hectares), intégrer pleinement les femmes dans les politiques de gestion forestière n'est plus une option, mais une urgence.
· La réalité des femmes rurales ivoiriennes face aux défis forestiers
Les femmes rurales jouent un rôle clé dans la production agricole et la gestion des actifs naturels et sylvicoles. Cependant, elles se heurtent à une série d'obstacles structurels qui freinent leur autonomisation. En Afrique subsaharienne, seules 15 % des terres agricoles leur appartiennent, selon la FAO, et la Côte d'Ivoire ne fait pas exception. Dans les zones de culture de cacao, notamment au Sud-ouest et à l'Est du pays, l'accès des femmes à la terre et aux revenus agricoles reste limité. Les certificats fonciers délivrés aux femmes n'ont atteint que 12 % selon l'Agence Foncière Rurale. Un chiffre qui reflète une inégalité persistante et entrave leur participation aux initiatives de développement durable.
L'accès aux services financiers, aux nouvelles technologies et aux programmes de formation restent également limité, exacerbant leur précarité économique et limitant leur capacité à adopter des pratiques agricoles innovantes, telles que la méthode taungya, qui allie agriculture et foresterie.
Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), les femmes bénéficient de seulement 5 % des services de vulgarisation agricole, un manque de soutien qui réduit leur potentiel dans la préservation de la biodiversité et la résilience face aux changements climatiques. Dans les zones forestières, les pratiques culturelles restreignent leur participation aux décisions, malgré la loi n°98-750 de 1998 qui promeut une certaine égalité dans les comités de gestion foncière rurale.
Les contraintes économiques et les normes sociales, couplées aux effets du changement climatique, fragilisent davantage leur accès aux ressources de base, notamment l'eau et les infrastructures de commercialisation. Dans certaines régions de la Côte d’Ivoire, les femmes font des pépinières, sans appui logistique ni infrastructures adéquates. Sans transport adapté et sans accès aux forêts classées et aux marchés, elles restent exclues des opportunités de développement, alors même que leur savoir-faire pourrait jouer un rôle crucial dans la gestion durable des ressources environnementales et forestières.
· La contribution des femmes rurales au développement durable
Le rôle des travailleuses rurales en Côte d’Ivoire dans la préservation des forêts et des écosystèmes est indéniable. Elles sont souvent surnommées les « gardiennes de la biodiversité » en raison de leurs connaissances précieuses pour la préservation des forêts et de leurs écosystèmes. Une étude réalisée par la FAO en 2007 a permis de montrer que les femmes en foresterie détiennent des connaissances dans la gestion des bassins versants, l'amélioration des arbres, la protection et la conservation. Leur implication dans des pratiques telles que l’agroforesterie et le reboisement renforce la résilience des écosystèmes face aux crises climatiques.
Actrices clés de l’économie, les femmes paysannes s’impliquent dans la collecte, la transformation, et la commercialisation de produits forestiers non ligneux comme le karité et le cacao, des ressources essentielles pour le développement local. Cette contribution est non seulement cruciale pour la durabilité environnementale mais aussi pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) fixés par les Nations Unies. Reconnaître leur rôle dans le développement durable est donc une nécessité qui dépasse la simple justice sociale.
Des exemples internationaux démontrent l'impact positif de l’inclusion des femmes dans la gestion forestière communautaire. En Inde, une étude réalisée en 2011 par Nimai Das a montré que la prise en compte des inégalités de sexe dans les programmes de foresterie participative accroît le revenu des femmes en favorisant leur autonomie dans la gestion du système, réduit le temps qu’elles consacrent à la récolte des produits forestiers et augmente leur investissement dans d’autres tâches forestières, telles que la transformation des produits forestiers.
Au Népal, la forêt communautaire de Kafley, gérée en grande partie par des femmes, a permis de séquestrer environ 440 tonnes de dioxyde de carbone par an et d’améliorer significativement le revenu annuel des ménages de 880 $ par an, soit plus de 530 000FCFA. Ces exemples démontrent que l’implication des femmes dans les initiatives de foresterie communautaires ou participatives peut améliorer les résultats en termes d’environnement et de développement.
· Des initiatives en Côte d'Ivoire pour l’autonomisation des femmes rurales
Conscient de ces enjeux, le Projet d’Investissement Forestier - Phase 2 (PIF2), une initiative du Gouvernement ivoirien, met en œuvre des initiatives pour améliorer les conditions de vie des femmes rurales et les intégrer davantage dans la gestion du patrimoine forestier. Depuis son lancement en 2022 pour une durée de 7ans, ce projet a prévu à leur endroit à travers le partenariat avec CARE International le développement des Activités Génératrices de Revenus (AGR) et la mise en place des Associations pour la Valorisation de l’Entraide Communautaire (AVEC).
C’est près de 300 microprojets qui ont été présélectionnés, dont une large part est portée par des femmes. Ces activités permettent aux femmes de générer des revenus et de subvenir aux besoins de leurs familles.
Le PIF2 soutient également les associations féminines dans leurs initiatives de reboisement et d’agroforesterie. A ce jour, plus de 150 contrats de performance ont été signés avec des associations de femmes, leur permettant d'exercer pleinement leur expertise en matière de reboisement et d’agroforesterie.
L’association MALEBI par exemple, joue aujourd’hui un rôle crucial dans la gestion durable des forêts en Côte d’Ivoire. En quatre (4) ans, ces femmes ont déjà reboisé 80 hectares de teck et d’acacia dans la forêt classée d’Ahua, située à Dimbokro. Elles ambitionnent reboiser 125 autres hectares. Ces actions concrètes montrent l’impact positif d’une inclusion accrue des femmes dans la gestion des ressources écologiques et sylvicoles.
· Vers un avenir durable en Côte d’Ivoire avec les femmes rurales
Assurer un avenir durable pour la Côte d’Ivoire requiert une inclusion totale des agricultrices locales dans la gestion des ressources des écosystèmes naturels. Leur savoir et leurs compétences sont des atouts majeurs pour la durabilité des écosystèmes et pour la prospérité des communautés rurales. Les femmes des zones rurales ne sont pas seulement des bénéficiaires des ressources forestières, mais aussi des actrices essentielles pour la préservation et la prospérité des générations futures. Et vous, comment contribuerez-vous à ce futur vert et solidaire ?
Mme Thérèse ABE-KOFFI,
Coordonnatrice du Projet d’Investissement Forestier - Phase 2 (PIF2)
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