𝗟𝗮 𝗰𝘂𝗹𝘁𝘂𝗿𝗲 : 𝘂𝗻𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘀𝘁𝗿𝘂𝗰𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗵𝘂𝗺𝗮𝗶𝗻𝗲
La culture, contrairement à la nature, est une construction humaine complexe et dynamique qui évolue au fil du temps. Elle représente à un moment "T" ou à une époque donnée l'ensemble des acquis intellectuels, spirituels et matériels d'une société, façonnés par son histoire, son environnement et les interactions sociales.
Alors que la nature est donnée et spontanée, la culture est apprise, transmise et constamment réinventée.
La culture agit comme un filtre à travers lequel nous interprétons le monde, influençant nos perceptions, nos valeurs et nos comportements. Elle peut être vue comme une réponse collective d'un groupe donné aux défis posés par l'environnement naturel et social, permettant aux sociétés de s’adapter, de survivre et de prospérer.
Cependant, la culture n'est pas monolithique ; elle est plurielle, stratifiée et souvent contestée au sein même des sociétés. Elle peut être source d'identité et de cohésion, mais aussi de conflits et de divisions. Dans le contexte africain, la culture sert de pont entre un passé riche et un présent en mutation rapide.
𝗗𝗲́𝗳𝗶𝗻𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗲𝘁 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗼𝘀𝗮𝗻𝘁𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝗹𝗮 𝗰𝘂𝗹𝘁𝘂𝗿𝗲
La Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles de 1982 donne une définition qui nous permet de saisir la profondeur et l'étendue du concept. Selon cette déclaration, la culture est "l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social". Elle englobe les arts, les lettres, les modes de vie, les systèmes de valeurs, les traditions, les croyances, ainsi que les droits fondamentaux de l'être humain.
Cette définition pose clairement et sans ambage que chaque peuple a sa culture et montre aussi la nature multidimensionnelle de la culture, qui se forme à partir de plusieurs et divers facteurs interdépendants :
1.Traits distinctifs spirituels et matériels : La culture se manifeste à travers des éléments tangibles tels que l'architecture, l'art, et les outils, ainsi que des éléments intangibles comme les croyances religieuses et les valeurs spirituelles.
En Afrique, ces traits sont visibles dans la diversité des styles architecturaux (comme les cases obus des Mousgoum au Cameroun), les sculptures traditionnelles (masques Dogon du Mali), et les rituels religieux propres à chaque région et peuple. En Éthiopie, par exemple, les églises monolithiques de Lalibela témoignent d'une expression unique de la spiritualité chrétienne dans un contexte africain.
2. Aspects intellectuels et affectifs : Les idées, les contes, les légendes, les philosophies, et émotions partagées façonnent la culture.
La richesse des sagesses orales africaines, transmises de génération en génération par les griots et autres savants en Afrique de l'Ouest, constitue un patrimoine intellectuel unique pour comprendre l'âme du continent.
3. Les arts, les langues et les lettres : L'expression linguistique, artistique et littéraire est aussi un facteur qui détermine la culture.
En Afrique, la musique (comme le high-life ghanéen ou le mbalax sénégalais), la danse, et la poésie expriment les histoires, les luttes, et les espoirs de ses peuples. Ces formes d'expression sont des vecteurs essentiels de transmission de certaines valeurs et de l'identité africaine.
Au Maroc, l'art de la calligraphie arabe et la poésie amazighe montrent une certaine façon d'être et de se distinguer.
4. Modes de vie : Les pratiques quotidiennes, les structures familiales, et les habitudes alimentaires sont des expressions directes de la culture.
Que ce soit dans les zones rurales ou urbaines, la vie en Afrique est souvent marquée par une importance accordée à la communauté, à la famille, et à la solidarité, comme le système Gacaca au Rwanda pour la résolution des conflits ou encore "Paquinou" qui est un retour aux sources familiales en pays Baoulé.
En Côte d'Ivoire, les restaurants populaires connus sous le nom de "maquis" (quasiment unique dans le monde) façonnent aussi la culture car ils incarnent bien plus qu'un simple lieu de restauration ; ils représentent un véritable phénomène culturel qui façonne l'esprit et le mode de vie ivoiriens. Les maquis sont devenus de véritables institutions culturelles qui perpétuent l'art de vivre à l'ivoirienne.
5. Droits fondamentaux de l'être humain : La manière dont les droits humains sont perçus et pratiqués influence aussi la culture.
En Afrique, des valeurs telles que le respect des anciens, la solidarité communautaire, et la sacralité de certains aspects de la vie (comme le sexe et la procréation) sont profondément ancrées dans les sociétés.
Dans les sociétés africaines, on a un profond respect pour la dignité humaine qui est consacré par exemple dans le « serment des chasseurs » (1222) et "la charte du mandé" (1236).
6. Systèmes de valeurs : Les croyances concernant ce qui est moralement ou éthiquement important ou acceptable façonnent également les attitudes et décisions individuelles et collectives.
Des concepts comme l'Ubuntu ("Je suis parce que nous sommes") sont symptomatiques de l'interconnexion et du respect mutuel au sein des communautés africaines, particulièrement en Afrique australe.
Dans de nombreuses cultures africaines traditionnelles, la sexualité est considérée comme sacrée, fondée sur plusieurs principes interconnectés comme la procréation et la continuité de la vie, et le pont entre le monde physique et le monde spirituel.
Ainsi, chez les Yorubas du Nigeria comme pour plusieurs peuples ailleurs, par exemple, l'acte sexuel est considéré comme une récréation de l'acte divin de création, liant ainsi l'humain au divin.
Dans la culture Akan du Ghana, on croit aussi que l'esprit d'un ancêtre peut choisir de revenir dans la famille à travers un nouveau-né. Ainsi, dans les cosmologies africaines, la sexualité représente l'union des forces masculines et féminines, nécessaire à l'équilibre de l'univers.
Dans ces systèmes de valeurs, il peut avoir des transgressions et des déviations mais il y a des pratiques et mesures de réprobation de ce que "la société" n'admet pas dans son ensemble comme morale ou éthique.
7. Traditions : Les pratiques transmises de génération en génération, qu'elles soient religieuses ou laïques, sont des éléments fondamentaux de la culture. Elles s'expriment dans les cérémonies (mariage, deuil,...), les initiations, les rites de passage (comme le Bwa au Mali), et les festivités qui rythment la vie sociale.
Dans une société comme la Côte d'Ivoire où plus de 82% se disent appartenant à des religions révélées monothéistes (Musulmans et chrétiens), les pratiques sociales imbibées de ces croyances monothéistes sont fortement transmissibles d'une génération à une autre. Elles ne rompent pas facilement et en une génération.
8. Croyances : Les systèmes de croyances, qu'ils soient animistes (comme le Vodun au Bénin), religieux, ou philosophiques, façonnent la vision du monde des sociétés africaines et leur relation avec la nature, les ancêtres, et le divin.
Les mythes, les interdits et superstitions façonnent aussi l'imaginaire et déterminent une certaine façon d'appréhender les choses.
9. Climat et environnement de vie : Les conditions climatiques et l'environnement naturel influencent aussi de manière profonde les modes de vie et les pratiques sociales, économiques et politiques.
Les communautés vivant dans des environnements sahariens, forestiers ou côtiers ont développé des adaptations spécifiques, qui se manifestent dans leur façon de vivre et d'habiter leur espace.
𝐋𝐚 𝐜𝐨𝐧𝐬𝐭𝐫𝐮𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐨𝐮 𝐥'𝐢𝐦𝐩𝐨𝐬𝐢𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐝𝐞 𝐥𝐚 𝐜𝐮𝐥𝐭𝐮𝐫𝐞
Il est aussi important de noter que la construction de la culture peut suivre des chemins divers et parfois contradictoires.
D'une part, elle peut émerger de manière organique et naturelle au sein d'une société, évoluant progressivement au fil du temps en réponse aux expériences collectives, aux défis environnementaux et aux interactions entre les membres de la communauté.
Ce processus, souvent imperceptible et non violent, façonne les traditions, les coutumes et les valeurs partagées qui définissent l'identité culturelle d'un groupe.
D'autre part, la culture peut également être imposée, que ce soit par des forces internes comme l'État ou par des influences extérieures. Cette imposition culturelle peut prendre des formes diverses, allant de la coercition directe à des méthodes plus subtiles mais tout aussi efficaces.
Les outils de cette imposition comprennent souvent la législation, qui peut interdire certaines pratiques culturelles ou en promouvoir d'autres, l'éducation formelle, qui peut véhiculer une vision particulière de l'histoire et des valeurs, et les médias, qui peuvent façonner l'opinion publique et les normes sociales.
Cette dualité dans la construction culturelle - entre émergence naturelle et imposition - est particulièrement pertinente à analyser dans le contexte africain, où l'héritage colonial et les dynamiques de mondialisation continuent d'interagir avec les traditions ancestrales.
Par exemple, l'imposition de langues coloniales comme le français ou l'anglais dans l'éducation et l'administration a profondément affecté les cultures linguistiques locales. De même, l'introduction de systèmes juridiques occidentaux a souvent créé une tension avec les systèmes de justice traditionnels…. (𝘼 𝙨𝙪𝙞𝙫𝙧𝙚)
Dans cette première partie de la chronique, j'ai voulu établir le cadre conceptuel nécessaire pour tenter de donner des pistes de réponses à la question complexe de l'existence d'une culture et de valeurs propres à l'Afrique. Nous avons donc visité la définition de la culture, ses composantes diverses, et la manière dont elle se construit et évolue au sein des sociétés.
La semaine prochaine, nous continuerons notre réflexion en nous penchant sur les "valeurs communes et l'esprit africain".
Nous examinerons s'il existe véritablement un socle de valeurs partagées à travers le continent africain, et comment celles-ci se manifestent dans la vie quotidienne et les interactions sociales.
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