Méagui est une ville située dans le sud-ouest de la Côte d’ivoire, notamment dans la région de la Nawa. Se déplacer d’un quartier à un autre dans cette bourgade de 320 975 habitants, selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RPGH) de 2014, érigée en commune de plein exercice depuis 1996 et en département en septembre 2012 , relève d’un véritable parcours du combattant. Les chauffeurs de taxis communaux ayant décidé contre toute attente de ne pas desservir les principales artères de la deuxième ville de la nouvelle boucle de Cacao de la Côte d’Ivoire.
Excédée par l’intransigeance de ces transporteurs qui refusent d’arpenter les rues de Méagui, la mairie a fait appel aux tricycles pour assurer le transport en commun des populations.
Et donc depuis quelques années, les triporteurs, des jeunes gens qui pour certains n’ont pas le permis de conduire, ont le vent en poupe à Méagui et mènent une rude concurrence aux taxis avec la bénédiction du conseil municipal, dirigé par N’dri Yao, premier magistrat de la ville.
Mais pourquoi les taxis communaux refusent-ils de desservir les quartiers de Méagui ? Pourquoi les populations préfèrent-elles recourir au service des tricycles dont le confort laisse à désirer ? Comment des gamins sans le permis sont-ils autorisés à conduire ces triporteurs avec tous les risques que cela comportent ? RTI Info est allée sur la terre des Bakwés pour chercher à comprendre cette situation qui couler beaucoup d’encre et de salive.
Les taxis communaux, aussitôt venus, aussitôt repartis
Située à 52 kilomètres de Soubré, le chef-lieu de la région de la Nawa et à 71 kilomètres de San-Pedro, la deuxième ville portuaire de la Côte d’Ivoire, Méagui a connu au cours des dernières années un rapide développement dû à l’essor économique de ses ressources forestières (cacao, café, hévéa) et à son organisation socio-politique collégiale qui associe aux prises de décisions, allochtones et allogènes.
L’intensité de l’activité économique a favorisé une démographie galopante et dynamique. Une situation qui a vu l’arrivée des taxis communaux à la grande joie des populations qui ont vu en cette arrivée une occasion de pouvoir se déplacer aisément d’un quartier à un autre. Mais cet espoir suscité par la venue des taxis va se transformer en une grande désillusion pour les habitants de Méagui, peu de temps après leur arrivée.
En effet, prenant pour prétexte l’état de la voirie dans la commune de Méagui qui ne bénéficient pas de bitume, les chauffeurs de taxis vont refuser de parcourir les principales artères de la ville.
"Les chauffeurs de taxis disent que tant que les rues de Méagui ne sont pas bitumées, eux ils ne peuvent pas rouler en ville", révèle N’dri Yao, le patron de l’institution communale. "Nous avons eu plusieurs réunions avec leurs syndicats, mais, ils sont restés sur leur position", déplore-t-il avec amertume.
Poursuivant sur sa lancée, le maire déclare que les taxis devraient néanmoins rouler en dépit de l’état de la voirie de sa commune. "Les chauffeurs de taxis se doivent de nous épauler dans notre mission de faciliter la vie des populations en leur proposant des services de proximité de qualité. Mais hélas !!!", s’est-il désolé.
Pour Guillaume Kouamé, chauffeur de taxi, l’assertion du maire ne reflète pas exactement la réalité. "Il n’y a pas de route à Méagui, nous ne savons donc pas où passer. Nous sommes obligés de prendre le bitume pour nous en sortir", avoue-t-il.
Propriétaire du taxi qu’il conduit, Guillaume Kouamé précise que même s’il ne dessert pas le centre-ville, il arrive néanmoins à avoir sa recette journalière qui oscille entre 10.000 FCFA (15 euros) et 12. 000 FCFA (18 euros) en assurant la liaison entre les villages et autres hameaux environnants, tels que Niki Touadji et Sokoura et le chef-lieu de département qui est Méagui. "Le transport sur les lignes de Niki Touadji et Sokoura est fixé à 400 FCFA (0.61 euros). En travaillant sur ces lignes non seulement je m’en sors très bien mais également j’évite les pannes sur mon véhicule", a-t-il souligné.
Henri Kouassi est chauffeur de véhicule de transport en commun depuis 20 ans à Méagui. Pour lui les taxis ne peuvent pas rouler à perte juste pour faire plaisir à la population. "Vous-mêmes, quand vous avez vu l’état des rues de Méagui, est-ce que les taxis peuvent circuler ?", nous interroge-t-il.
Une thèse que partage son collègue et ami Coulibaly Siaka. "Selon moi, il n’y a pas de route dans notre ville, car l’état de la voirie occasionne des accidents de la circulation", indique ce dernier qui semble connaître les responsables de la détérioration de la voirie dans sa commune : "J’accuse les autorités qui ne font rien pour améliorer l’état des voies".
Une accusation que réfute le maire de Méagui. "Les chauffeurs de taxis doivent savoir que seul l’Etat peut bitumer une localité. Aucun maire ne peut mettre le bitume dans sa ville", assène-t-il avant d’ajouter avec ironie "ils s’agitent, alors qu’ils ne savent même pas combien coûte un kilomètre de bitume".
Continuant sur sa lancée, N’dri Yao fait une précision sur les efforts de la mairie pour faciliter le transport en commun sur le territoire communal. "Au niveau de la voirie, nous faisons le reprofilage 2 fois par an. Puisque nous n’avions pas de moyens de faire de bitume, nous faisons un peu de caniveau, à côté du reprofilage". Mais en à croire le premier magistrat de Méagui, ces efforts s’avèrent hélas insuffisants. "Avec les fortes pluies, dès qu’il pleut 02 fois de suite, les voies sont endommagées de nouveau, réduisant à néant tous nos efforts", se désole-t-il.
Qu’en est-il de la promesse de 07 km de bitume du Président de la République à la commune de Méagui lors de la visite d’Etat dans la région de la Nawa en mars 2015 ?
"J’étais présent et je n’ai pas entendu une telle promesse de la bouche du Chef de l’Etat", affirme avec vigueur N’dri Yao avant de faire cette clarification : "c’est nous qui avions demandé dans notre livre blanc que ce qui se passe ailleurs, à savoir l’octroi du bitume aux autres communes, que Méagui puisse en bénéficier également. Mais jusqu’à présent, nous n’avons pas encore eu de suite favorable".
Les tricycles pour palier la défection des taxis communaux
Face au refus des taxis communaux d’assurer le transport des populations d’un quartier à un autre dans la commune de Méagui, le conseil municipal va faire appel aux tricycles pour combler cette défection.
"Les taxis étaient les premiers à faire le transport intra-commune mais ils refusent d’entrer dans la ville, ils veulent emprunter le goudron pour aller dans les villages. Nous avons donc demandé aux trois roues de nous épauler à transporter nos populations puisqu’eux, ils peuvent rentrer partout", se réjouit le maire de Méagui.
Une joie que ne partage pas Coulibaly Siaka, chauffeur de taxi depuis 08 ans à Méagui qui s’insurge contre la présence des tricycles. "Beaucoup de jeunes qui conduisent ces trois roues sont des élèves qui se débrouillent pour avoir leur pitance du jour", soutient-il avant d’accuser "plusieurs d’entre ces enfants, n’ont pas le permis de conduire requis pour rouler ces trois roues".
Même s’il ne rejette pas les accusations du taximan, le maire se dit satisfait de voir ses administrés se déplacer aisément au sein de la commune. "Avec les tricycles, les populations sont satisfaites parque les tricycles arrivent jusqu’à la maison de leurs clients", indique-t-il avec une pointe d’assouvissement dans la gorge.
Eléonore Compaoré, commerçante au marché de Méagui, abonde dans le même sens que son maire. "Le tricycle me dépose chez moi chaque jour après la fermeture du marché et je ne paie que 200 FCFA. Une faveur que je ne pouvais pas avoir avec les taxis communaux", déclare-t-elle avant de clouer au pilori les chauffeurs de véhicules de transport en commun. "Les chauffeurs des taxis communaux ne pensent qu’à se remplir les poches et non au bien-être de la population".
A la question de savoir si les chauffeurs des taxis communaux devraient faire du social, Eléonore Compaoré répond par la négative tout en précisant le fond de sa pensée. "Ce que je demande, ce n’est pas qu’ils fassent de la philanthropie mais, de travailler de concert avec la mairie en acceptant de transporter les populations. Mais refuser toutes les propositions de l’autorité municipale, c’est quand même gênant", affirme-t-elle.
Isidore Konan, est entrepreneur. Il se dit heureux de l’avènement des tricycles qui rendent énormément service à la population. "Les tricycles aident les populations de Méagui à se déplacer et nous sommes heureux que la mairie ait décidé de leur faire appel", fait-il savoir.
Mais pour Isidore Konan, malgré les services que rendent les tricycles à la population, n’empêche qu’ils n’offrent pas le confort et la sécurité comme le feraient les taxis communaux. "La mairie devraient se pencher sur la jeunesse des conducteurs qui dans leur élan juvénile et leur insouciance roulent à tombeau ouvert. Ce qui n’est pas fait pour arranger les clients, vu l’état de la voirie dans la commune de Méagui", a-t-il ajouté.
En attendant que la mairie trouve une solution pour extraire les mômes des rangs des conducteurs de tricycles à Méagui, ce qui aurait le don d’éviter les accidents de la voie publique, les trois roues règnent en maitre absolu dans cette commune de la région de la Nawa, au grand désarroi des chauffeurs de taxis communaux qui continuent de rouspéter contre l’institution municipale en refusant de desservir le centre-ville. Mais jusqu’à quand cette situation va-t-elle perdurer ? Bien malin qui pourrait répondre à cette question.
Frédéric Goré-Bi, envoyé spécial à Méagui
Tous les commentaires 0
CONNECTEZ-VOUS POUR COMMENTER
VIDEOS