"D'abord ils ont catégoriquement refusé. Pour eux, les vaccins sont des vecteurs de maladies", raconte Moussa, responsable d'une ONG malienne dont l’AFP a changé l’identité pour des raisons de sécurité.
Les groupes islamistes ou jihadistes s'opposent souvent aux campagnes de vaccination à cause des barrières religieuses, nourries parfois par un rejet de l'Occident et de sa lutte contre le terrorisme, indique une étude publiée fin janvier dans la revue BMJ Global Health et intitulée "Les implications du conflit sur la vaccination au Sahel."
Pour les agents de santé au centre du Mali, "ce n'était donc pas possible de vacciner les enfants dans les villages et leurs parents ne pouvaient pas non plus le faire dans les grandes villes. C'est pourquoi l'épidémie de rougeole s'est aggravée", confirme Moussa qui a suivi l'affaire.
Finalement face au "ravage" de la maladie, les jihadistes ont fini par céder. "Ils ont eux-mêmes sollicité les services de santé pour qu’ils viennent vacciner les enfants", explique-t-il.
Ces restrictions au centre du Mali illustrent une situation plus globale au Sahel, miné par des violences jihadistes et en proie à des instabilités politiques qui perturbent les campagnes de vaccination.
- Pression accrue -
La destruction des infrastructures de santé, les restrictions des humanitaires et le déplacement des populations ont rendu difficile le maintien des programmes de vaccination de routine.
"Il y a eu une augmentation notable des attaques visant les agents de santé et les organisations humanitaires au Mali, au Niger et au Burkina Faso. En 2020, un tiers des enlèvements d'humanitaires dans le monde sont survenus dans ces régions", explique à l'AFP Majdi Sabahelzain, chercheur associé à l'Ecole de santé publique de Sydney et coauteur de l'étude.
Au Mali comme au Burkina, l'ONG Médecins sans frontières a dû suspendre en octobre ses activités à Nampala (centre du Mali) et Djibo (nord du Burkina), des foyers de violences jihadistes, après des brutalités contre ses personnels et ses locaux.
Au Niger, les syndicats de la santé se plaignent parfois de "l'enlèvement" d’infirmiers par des "terroristes" vraisemblablement pour soigner leurs blessés dans l’ouest du pays.
Et aux violences des groupes armés, s'ajoutent les entraves des juntes sahéliennes.
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso, dirigés par des régimes militaires issus de coups d'Etat entre 2020 et 2023, exercent une pression accrue sur les ONG, y compris humanitaires.
Au Niger, les autorités ont demandé début février au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de quitter le pays. En novembre, elles avaient retiré l'autorisation d'exercer à l'ONG française Acted et à l'association nigérienne Action pour le bien-être (ABPE), sans préciser les motifs.
La junte a également imposé aux ONG et associations de développement d'aligner désormais leurs activités sur sa "vision" et ses priorités stratégiques.
Au Mali, les autorités ont interdit depuis novembre 2022 les activités de toutes les ONG financées ou soutenues par la France, y compris celles opérant dans le domaine humanitaire.
- Enfants zéro dose -
Plusieurs organisations humanitaires ont renoncé à se rendre dans des zones risquées, prises en étau entre les groupes armés et les juntes sahéliennes.
"C'est risqué de se déplacer en véhicule pour atteindre les populations très éloignées. Le regroupement massif est aussi dangereux et souvent on fait face à des sabotages des chaînes de froid par des individus non identifiés", témoigne un médecin, responsable d'une ONG humanitaire à Gao (nord du Mali).
La perturbation des campagnes de vaccination a entraîné une accumulation du nombre d'enfants ayant reçu zéro dose ou peu immunisés.
"Rien qu'en 2023, la plupart de ces pays avaient une proportion significative d'enfants non vaccinés, en particulier le Soudan (43%), le Mali (22%) et le Tchad (16%)", explique le chercheur Majdi Sabahelzain.
Selon son étude, l’accumulation du nombre d’enfants zéro dose et sous-immunisés ces cinq dernières années révèle "le risque persistant de polio, de diphtérie, de coqueluche, de tétanos et d’autres maladies évitables par la vaccination."
De 2022 à 2023, les cas de rougeole ont été multipliés par 5 au Tchad, de 2.158 à 11.862, et ceux de polio ont triplé (de 252 à 680) au Burkina Faso, selon cette même source.
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